Ce qui existe déjà

Si le public français marque son intérêt pour la Seconde Guerre mondiale au point de se déplacer pour aller voir au cinéma les films qui lui sont consacrés, de consacrer du temps à regarder de longues séries documentaires et des témoignages, c’est que ces témoignages existent déjà. Alors pourquoi l’association High Flight ? Nous avons mené l’enquête sur les témoignages qui sont accessibles au public francophone.

Au vrai, notre premier constat relève plutôt de la surprise : en effet, l’écrasante majorité des témoignages de la Seconde Guerre mondiale sont des témoignages… écrits. Le reste se partage entre témoignages audio et vidéo, ces derniers étant de loin les plus rares, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes dans une société où la lecture perd hélas ses droits au profit du tout image. Nous voulons voir dans ce paradoxe, non pas hélas le symptôme d’une résistance sociale à la tyrannie télévisuelle, mais plutôt le fait que l’aridité supposée de la voix des survivants de la Seconde Guerre mondiale est perçue comme malvenue dans un paysage audiovisuel qui a érigé en dogme l’immédiat et l’éphémère, repoussant vers la poussière des grimoires les voix anciennes de ceux qui ont connu la tempête qui a engendré notre monde actuel. L’on pourra objecter que ces témoignages, attirant par leur nature même les plus curieux – les plus studieux ? d’entre nous trouvent plus naturellement leur place sous la forme de l’écrit, plus propice au silence de la réflexion. Cela n’est pas certain. Même les témoignages écrits – nous pensons aux plus immédiatement accessibles, ceux auxquels ont accède d’un clic de souris sur la Toile, sont pour la plupart réduits à un format étique de moins d’une page, parfois de quelques lignes : le zapping de la télécommande et du smartphone est aussi passé par là. La vingtaine de longs témoignages complets publiés sur le site du Mémorial de Caen est l’exception qui confirme la règle. Quant aux témoignages audio, ils subissent la même loi : jamais plus de quelques minutes (trois ou quatre en général).

Restent les témoignages vidéo. Le premier constat porte sur leur nombre : ils sont proportionnellement très peu nombreux même si leur nombre n’est pas négligeable en valeur absolue. Le second porte sur leur répartition : ils sont disséminés parmi de très nombreux sites web, chaque site n’en diffusant que quelques-uns, voire souvent un seul. Le troisième porte sur leur forme : ils sont très souvent très courts, ce qui prive le témoin de l’espace d’expression dont il a besoin pour transmettre son expérience vécue. De plus, la qualité d’image et la qualité de son sont souvent mauvaises ; quant à l’écriture filmique, elle est souvent la grande absente de ces documents, avec pour conséquence des témoignages bruts, arides et peu exploitables. Le troisième constat porte sur le fond : les témoignages sont très rarement mis en contexte, comme si le public était censé posséder automatiquement la connaissance des éléments nécessaires à la compréhension du témoignage. Ce dernier point nous semble être une importante erreur d’appréciation.

Les témoignages filmés disponibles sur la Seconde Guerre mondiale sont donc finalement relativement nombreux, mais ils sont épars et très souvent d’une qualité très loin en-dessous de ce que les techniques actuelles de production et d’écriture permettent de créer.

A ces constats il convient d’en ajouter un qui concerne plus particulièrement les témoignages filmés proposés par les Français eux-mêmes. Non seulement ces témoignages souffrent des mêmes handicaps que ceux proposés par d’autres pays mais en outre ils présentent des spécificités extrêmement marquées. En premier lieu, l’on observe une focalisation presque obsessionnelle sur les événement survenus sur le territoire français lui-même, ce qui donne l’étrange sentiment de se demander si la Seconde Guerre mondiale était bien une guerre mondiale. En second lieu, les témoignages filmés proposés par des Français concernent quasiment exclusivement des civils au point que l’on se demande si la Seconde Guerre mondiale était bien une guerre tout court alors que des combattants des forces françaises ont combattu tout au long de la guerre sur neuf fronts différents. Enfin, les témoignages recueillis par des Français écartent systématiquement les témoins de couleur (Afrique du Nord, Afrique Noire), même de nationalité française – sans parler des témoins de nationalités étrangères, même francophones comme les Canadiens alors que les témoignages filmés proposés par des sources américaines, par exemple, n’hésitent ni à donner la parole à des soldats Noirs ni même à des témoins étrangers.

Le public français est donc a priori canalisé vers une perception socialement, culturellement et géographiquement strictement limitée du sujet (témoignages en français) et qui, de toute façon, souffre des mêmes tares que les témoignages filmés ou doublés en anglais (courts, disséminés et souffrant d’une production et d’une écriture médiocres). Enfin, il convient de noter qu’ici, les sources traitées sont des sources en langues française et anglaise compte tenu du fait que les Français parlent mal les langues étrangères à l’exception de l’anglais qui est de mieux en mieux maîtrisé. Les nombreux témoignages de qualité disponibles surtout en langues russe mais aussi en espagnol, par exemple, ne sont pour cette raison pas pris en compte.

Au total, le public français a accès à des documents vidéo relativement nombreux mais proposant très souvent une vision étroite de la Seconde Guerre mondiale et presque toujours d’une qualité très peu convaincante.

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