Le front de Moscou après la contre-offensive de Joukov, 7 janvier 1942
Dans la nuit du 4 au 5 décembre 1941, les cinq armées du groupe d’armées Centre allemand, qui avait mené une offensive de deux mois jusque dans la banlieue même de la capitale soviétique (l’opération TAIFUN, « Typhon »), avaient fini par jeter le gant pour passer sur la défensive. L’Armée rouge avait réalisé l’impossible : brûler, jusqu’à l’ultime goutte, le potentiel phénoménal que la Wehrmacht avait investi dans la plus grande offensive militaire que l’histoire ait connue, l’opération BARBAROSSA. Quelques heures plus tard seulement, en pleine nuit, par un mètre de neige, trois armées soviétiques passaient à la contre-attaque au nord-ouest de Moscou, à une centaine de kilomètres seulement de la capitale, sonnant l’heure de la grande contre-offensive d’hiver menée par le sauveur de Moscou, Joukov.
Dans les jours qui ont suivi, cinq autres armées se sont jointes à l'énorme sursaut soviétique. Le but : faire reculer, sur un total de quatre cent kilomètres de front à vol d’oiseau – la distance de Poitiers à Montélimar - les deux énormes pattes, chacune large de cent kilomètres, avancées au début de l’hiver par le groupe d’armées Centre allemand au nord et au sud de Moscou. Ce qui restait de l’Armée rouge qui avait défendu la capitale se lançait, comme un revenant, contre ce qui restait de la Wehrmacht qui l’avait attaquée.
Dans certains secteurs, les attaques soviétiques ont provoqué la panique dans les lignes allemandes. Le coup asséné par Joukov a été si farouche qu’il a déclenché une crise entre Hitler et ses généraux. En dix jours de combats, les deux pinces d’acier que le Reich avait avancées en direction de la capitale soviétique ont été nivelées jusqu’à leur base. A Moscou, le baromètre de la menace, qui avait atteint le niveau « dramatique », a baissé d’une graduation jusqu’au niveau simplement « très grave ». Joukov a alors maintenu sa pression et son rythme, repoussant au total le groupe d'armées Centre allemand de deux cents kilomètres en moyenne sur un front cette fois large de plus de six cents – la distance de Paris à Montpellier ; à une exception frappante : une imposante excroissance allemande de deux cents kilomètres de large et de cent cinquante de profondeur, balcon menaçant qui paraît surplomber Moscou et qui étend son ombre jusqu’à soixante kilomètres seulement à l’ouest de la capitale : le saillant de Rjiev-Viazma. Nonobstant cette encombrante tache dans le tableau, début janvier 1942, Joukov a encore atténué d’un cran le baromètre du danger jusqu’au niveau simplement « inquiétant ».
Malgré tout, la contre-offensive d’hiver reste une victoire défensive. Pourtant, cette victoire défensive suffit à déclencher chez Staline la première de ces crises d’euphorie aiguës qui, à répétition, l’éloigneront de la réalité et que l’Armée rouge paiera parfois argent comptant. Le Vojd se met en effet en tête de métamorphoser le beau succès de la contre-offensive en un grand soir qui restera gravé dans l’histoire comme celui de « l’écrasement total des troupes hitlériennes en 1942 » [sic] : il faut exploiter la situation, battre le fer tant qu’il est chaud et surtout ne pas offrir à l’envahisseur la moindre opportunité qui lui permette de restaurer ses forces. Aux yeux des généraux de l’Armée rouge, cette posture revient à miser sur-le-champ les minces ressources qui lui restent pour 1942, et donc prendre le gros risque de les dilapider.
Pierre Bacara
Pour en savoir plus : Kharkov 1942, le brelan fatal.