Opérations PRUSSE-ORIENTALE et VISTULE-ODER

au portail de la « tanière de la bête »

 

« Nous avons fait sauter la glace et nous avons traversé sur le fond, gagnant ainsi deux ou trois heures. Toute la glace se soulevait en une montagne énorme devant les chars et retombait avec un terrible fracas »

 

« La Gestapo. L’édifice est intact, tout est en place. Sur la chaussée traînent des portraits tout en magnificence des chefs du parti nazi. Des enfants en bottes de feutre déchirées dansent sur les visages de Goering et de Hitler […].  

 

- Vassili Grossman

 
JEUDI 11 JANVIER 1945, FRANCE
 
 

Un dicton immémorial affirme que les hivers de guerre sont rudes. Le mois de janvier 1945, glacial dans toute l’Europe, semble s’y conformer. En cette soirée du jeudi 11 janvier, couverte de neige dans presque tout le pays, la guerre est terminée pour une majorité de Français ; mais son souvenir brûlant couve encore comme la braise sous le froid glacial.

 

C’est l’hiver de l’épuration : un mois et demi plus tôt, feu le mythique géant industriel Louis Renault, soixante-sept ans, a rendu son dernier souffle à l’hôpital à la suite d’un bref séjour derrière les barreaux au cours duquel il aurait fait l’objet de conditions de détentions musclées, et la dépossession de ses héritiers pour cause d’« atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat » est imminente. Charles Maurras, soixante-seize ans, figure intellectuelle du demi-siècle et vichyste enflammé, croupit lui aussi dans une prison, à Lyon, depuis déjà quatre mois, en attente de jugement pour « haute trahison et intelligence avec l’ennemi ». Robert Brasillach, trente-cinq ans, ex-rédacteur en chef du plus grand organe de presse de la Collaboration, l’hebdomadaire Je suis partout, est toujours recherché pour « intelligence avec l’ennemi ». De Paris, libérée par la 2e division blindée du général Leclerc en août 1944, le général de Gaulle, installé sous les lambris graves et augustes de l’hôtel de Brienne, préside aux destinées de la France [1].

 

La tâche du « Général » et du Gouvernement provisoire de la République Française est herculéenne : éperonner le fonctionnement des institutions républicaines sur tout le territoire ; rétablir l’ordre malgré la pénurie d’agents des forces de l’ordre ; rebâtir la souveraineté d’un pays qui émerge de quatre années d’Occupation allemande, libéré par des forces armées extérieures dont la colonne vertébrale est américaine et dépend de Washington, une capitale qui rugit dès qu’il est question d’indépendance du pays ; et par des forces intérieures dont le muscle le plus fort est un parti communiste qui voue un culte au chef de l’Etat soviétique ; redémarrer une économie disloquée par quatre années de prédation nazie, par des milliers de bombardements aériens alliés et par les destructions sur les champs de bataille.

 

En attendant, pour une écrasante majorité de Français, le quotidien, c’est le froid mordant et les tickets de rationnement. Pour les autres, pour les cent cinquante mille Français qui peuplent encore les villes portuaires de Royan, La Rochelle, Dunkerque, Lorient, Saint-Nazaire ; qui peuplent la région de Colmar et le nord de l’Alsace, le quotidien n’a pas changé depuis 1940 et c’est l’occupation nazie. En cette soirée du 12 janvier, alors que tous les poêles sont allumés et que tournent les aiguilles des horloges, que les enfants dorment déjà et que l’heure de les imiter approche pour les plus âgés, l’Europe reste en proie au chemin de croix de la guerre. Pour quatorze millions d’hommes et de femmes – neuf millions à l’Est, cinq à l’Ouest – qui combattent sur trois mille cinq cents kilomètres de front – deux mille cinq cents à l’Est et mille à l’Ouest – dans quatorze pays d’Europe, la peur, le sang et la mort se conjuguent toujours, heure par heure, au présent de l’indicatif.

 

  

L'EUROPE 

 

Toutes les provinces françaises sont entièrement libérées du nazisme à l’exception de la Bretagne, de l’Aunis-Saintonge et de la Flandre, où les villes portuaires de Lorient, Saint-Nazaire, Royan, La Rochelle et Dunkerque sont toujours occupées ; mais à l’exception, surtout, de l’Alsace où les forces américaines et françaises sont confrontées, côte à côte, à une offensive de la Wehrmacht. A en croire nos manuels scolaires, la Seconde Guerre Mondiale en Europe est alors virtuellement terminée puisque « le 6 juin 1944, les Alliés débarquent en Normandie ; le 25 août, Paris est libéré et le 8 mai 1945, l’Allemagne capitule ». Sur le terrain, en janvier 1945, la réalité des faits n’est pas aussi caricaturale.

 

L’empire nazi s’étend, du sud au nord, sur près de trois mille kilomètres, des confins des Apennins italiens aux glaces de l’océan Arctique ; cependant, d’ouest en est, il est beaucoup plus effilé : huit cents kilomètres seulement séparent l’extrême pointe occidentale de la 6e armée blindée de la Garde soviétique, au nord-ouest de Budapest, en Hongrie, de l’extrême pointe orientale de la 1ère armée américaine en Alsace. Au total, la Lotharingie géante qu’est alors l’Europe d’Hitler s’étend encore sur plus d’un million et demi de kilomètres carrés sur les territoires de treize pays de l’Europe d’alors (quinze de l’Europe actuelle) et ses portes sont défendues par l’armée la plus expérimentée au monde. Le front de l’Ouest serpente sur mille kilomètres des Pays-Bas à la frontière suisse, et les forces américaines, britanniques, canadiennes, françaises et polonaises y affrontent plus de soixante-dix divisions nazies. A l’Est, c’est sur deux mille trois cents kilomètres que le front s’étire, de la mer Baltique à la mer Adriatique. L’Armée rouge y fait face à près de deux cents divisions de l’Axe qui ne manquent pas de confiance en leurs capacités. A l’Est comme à l’Ouest, les frontières de l’Allemagne nazie sont atteintes.

 

 

 

 Les lignes de front au 11 janvier (à l’exception du front qui oppose la Wehrmacht et l’Armée rouge en Norvège). Pour votre confort de lecture, nous vous suggérons de cliquer sur cette carte pour l’ouvrir dans un nouvel onglet de votre navigateur.

 

  

En Europe comme ailleurs, la Seconde Guerre mondiale est une guerre en trois dimensions qui se joue non seulement sur terre, mais également dans le ciel, dans les mers, dans les océans et même dans leurs profondeurs.

 

 

Les « Loups gris » [2]

 

Dans les mers, l’Allemagne d’Hitler a principalement engagé ses célèbres U-Boote, ses sous-marins, qui, en cette aube de l’année 1945, ont déjà perdu la guerre depuis bien longtemps. Ils l’ont perdue dans l’Atlantique face à la Royal Navy et à la Royal Air Force britannique mais aussi face à l’U.S. Navy américaine. Pourtant, malgré cette défaite stratégique, les « Loups gris » demeurent, au quotidien, un danger réel, permanent pour les marines anglo-saxonnes et soviétique : en ce 11 janvier, sur les plus de cent U-Boote opérationnels que compte la Kriegsmarine, quarante-huit hantent toujours la mer Baltique, la mer du Nord et les océans Arctique, Atlantique et Indien, jusqu’au large du Canada et même de l’Indonésie [3].

 

 

Les batailles dans le ciel de l’Europe

 

Dans les cieux européens, la redoutable Luftwaffe allemande est longtemps restée un fléau malgré sa défaite stratégique contre la Royal Air Force lors de la bataille d’Angleterre de 1940. Essentiellement tournée vers la Russie à partir de 1941, où elle a gravé de nouveaux chapitres de sa légende, elle y a été emportée dans une guerre longue qu’elle ne pouvait gagner. En effet, l’échec des nazis à détruire l’Armée rouge à l’été 1941, puis à prendre Moscou, a fait basculer le IIIe Reich dans une guerre longue dès l’hiver suivant. Ce bouleversement stratégique a donné à l’aviation soviétique le temps qui lui avait manqué jusqu’alors pour lécher ses profondes blessures, rattraper son léger retard technologique et, surtout, combler son déficit abyssal en savoir-faire, toutes choses accomplies au tournant de 1942 et 1943. Simultanément, l’U.S. Air Force faisait son apparition au-dessus de l’Europe et de la Méditerranée et, après avoir à son tour payé le lourd tribut du baptême du feu, a fini par entraîner la Luftwaffe dans une étreinte sanglante dans les cieux européens [4]. Au résultat, l’année 1944 a été un purgatoire pour l’aviation allemande, qui a franchi un nouveau pas décisif dans sa longue érosion. En ce début 1945, l’aviation d’Hitler a encore des griffes mais elles sont bien usées.

 

 

Du pétrole et du charbon

 

La Seconde Guerre mondiale est également une guerre totale, ce qui implique qu’elle engloutit l’intégralité des ressources des belligérants, du caoutchouc aux céréales en passant par l’aluminium et le manganèse.

 

Au premier plan de ces ressources, le carburant qui alimente les moteurs des camions, des chars, des avions et des sous-marins de cette guerre hautement mécanisée, et donc le pétrole. Or, l’or noir est l’un des points faibles de l’Allemagne, plutôt mal dotée en ressources naturelles. Dès le début de la guerre, le Reich s’est ainsi appuyé essentiellement sur les précieux champs de pétrole de Ploesti, en Roumanie, avant d’échouer à s’emparer de ceux de Bakou, dans le Caucase, en 1942. A l’été 1944, la gigantesque opération IASSI-KICHINIOV a repoussé les armées nazies depuis la frontière roumano-ukrainienne jusqu’aux Carpates Orientales, faisant basculer les champs de Ploesti de l’autre côté du front. Depuis, il ne reste plus à l’Allemagne que les usines d’essence synthétique situées sur son propre territoire ; mais, depuis le mois de septembre 1944, celles-ci sont la cible d’opérations aériennes américaines de plus en plus violentes. Pour la Wehrmacht, l’addition de IASSI-KICHINIOV et des raids de l’U.S. Air Force a transformé le spectre de la pénurie de carburant en réalité.

 

L’autre ressource stratégique de cette guerre, c’est le charbon, qui alimente les chaudières des locomotives, des navires de surface, des centrales électriques. Ces dernières, à leur tour, alimentent les usines qui produisent jour et nuit le matériel de guerre du Reich. Le charbon, l’Allemagne n’en manque pas, en particulier grâce à sa province orientale de Silésie. L’industrie allemande tourne donc à plein régime, produisant  – entre autres dans les camps de concentration – un flot grandissante de matériel par ailleurs de plus en plus moderne.

 

Car s’il est une industrie – celle-ci spécifique au Reich – qui a tourné à plein régime, c’est bien celle de la mort. En effet, les camps de concentration et d’extermination nazis ont été la dernière destination d’une dizaines de millions d’hommes, de femmes et d’enfants de toutes nationalités et de toutes origines sociales, politiques et religieuses – en premiers lieu des Juifs (quelque six millions), en second lieu des Soviétiques (quelque trois millions) et des Polonais (trois millions aussi). Sur les six principaux camps d’extermination nazis, quatre ont été fermés : Belzec, Sobibor, Treblinka et Birkenau ; un est au repos :  Chelmno ; et un sixième, celui de Maïdanek, dans l’est de la Pologne, a été libéré par les soldats du Maréchal soviétique Constantin Rokossovski lors de l’opération KOVEL-LUBLIN de juillet 1944. Celui qui a fonctionné le plus tard, Birkenau, l’annexe exterminatoire du réseau concentrationnaire d’Auschwitz, a été fermé sur ordre de Heinrich Himmler, commandant suprême de la SS, en novembre 1944. En effet, parmi les grands prélats du nazisme, Himmler est l’un des rares à avoir assez tôt envisagé l’éventualité d’une victoire de l’Armée rouge [5]. Or le front de l’Est est maintenant à cent quarante kilomètres du complexe concentrationnaire .

 

 

Du nouveau à l’Ouest

 

A l’Ouest, les forces alliées – essentiellement les américaines et les françaises – sont sur la brèche. Au mois de décembre, la Wehrmacht y a asséné coup sur coup deux offensives à deux semaines d’écart.

 

La première a surgi dans les Ardennes belges. C’est l’opération WACHT AM RHEIN (« Garde du Rhin »), au sud de la percée américaine d’Aix-la-Chapelle. En une semaine de combats dans d’impénétrables forêts de pins enneigées et nimbées de brouillard, les panzers du groupe d’armées B ont renversé les défenses du 12e groupe d’armées américain du général Omar Bradley sur cent kilomètres de large et autant de profondeur. Ils sont parvenus à quelques kilomètres de leur objectif, la Meuse. Cependant, l’opération, pensée par Hitler lui-même, n’était pas conçue à la hauteur de ses moyens matériels et, lorsque les Américains sont passés à la contre-offensive, la Wehrmacht n’avait pas atteint la Meuse [6].

  

 

Un char Tigre II d’une division de panzers à La Gleize, dans les Ardennes belges, où il se trouve toujours. En janvier 1945, le Tigre II est le char de combat le plus puissant au  monde.

 

 

La seconde offensive allemande, c’est l’opération NORDWIND, (« Vent du nord »). Elle a éclaté deux cents kilomètres plus au sud-est, en Alsace, le jour de la Saint-Sylvestre. En ce 11 janvier, ce sont deux armées allemandes qui approchent de Strasbourg. La capitale de l’Alsace, libérée en novembre 1944, est menacée au point qu’une semaine plus tôt, le commandant en chef des forces alliées en Europe, le général américain Dwight Eisenhower a donné l’ordre de l’évacuer [7].

 

Pour le premier ministre britannique Winston Churchill, ces deux chocs portent un « coup très rude » aux Alliés. Eisenhower et lui-même ont donc appelé à l’aide le chef de l’état soviétique, Josef Staline, en lui câblant le 6 janvier: « La bataille à l’Ouest est très pénible […]. Vous-même connaissez d’expérience l’angoisse de devoir défendre un large front après la perte temporaire de l’initiative. Le général Eisenhower a absolument besoin de connaître vos intentions car elles impacteront toutes nos décisions majeures. […] Je vous serais reconnaissant si vous vouliez bien me dire si nous pouvons compter sur une offensive russe majeure sur le front de la Vistule ou ailleurs […] Signé : Winston Churchill, 6 janvier 1945 ».

 

 

L’Est, le front géant

 

Or, justement, à l’Est, que se passe-t-il ? Le front s’y étend sur plus de deux mille kilomètres de la mer Baltique à la mer Adriatique. L’Armée rouge y fait face à près de deux cents divisions de l’Axe. En 1944, à l’occasion des célébrations du 1er mai et alors que l’Armée rouge n’avait pas encore chassé l’occupant du territoire national, Staline a rédigé un ordre du jour : « […] dorénavant, notre objectif est de libérer des envahisseurs fascistes l’ensemble de notre territoire […mais…] notre tâche ne peut se réduire à expulser les troupes ennemies de notre pays […]. Une bête blessée qui se retire dans sa tanière ne cesse pas d’être une bête dangereuse […]. Nous devons suivre la trace de la bête allemande blessée et l’achever dans sa propre tanière […]. A l’évidence, cette tâche est plus difficile que d’expulser les troupes allemandes de notre pays ».

 

A l’heure où Staline rédigeait cet ordre du jour, les forces de l’Axe à l’Est livraient bataille encore quasi-intégralement en territoire soviétique, de l’océan Arctique à la frontière roumaine et à la Crimée, presqu’île alors encore entièrement occupée par les nazis. Depuis, l’Armée rouge a intégralement repoussé d’Union Soviétique les armées d’Hitler et de ses alliés, qui ont laissé derrière elles le paysage le plus terrifiant qu’ait connu l’histoire de l’humanité : mille sept cents villes et agglomérations partiellement ou totalement détruits et incendiés, soixante-dix mille villages et hameaux ; vingt-cinq millions de sans-abri et entre treize et seize millions de civils tués, hommes, femmes et enfants. Le point d’orgue de la libération a été l’opération BAGRATION qui a expulsé les nazis de Biélorussie à l’été 1944, pulvérisant le groupe d’armées Centre allemand jusqu’à la Vistule, où elle a établi trois têtes de pont sur la rive ouest, et jusqu’à la frontière de la Prusse-Orientale, en infligeant à l’Allemagne, dans une chaleur caniculaire, la défaite la plus spectaculaire de toute son histoire militaire. Seule l’intervention du Maréchal Walter Model, l’un des meilleurs généraux nazis de la Seconde Guerre Mondiale, a réussi in extremis à rétablir un front sur la Vistule, en Pologne.

 

A l’automne, c’est au nord et au sud du front Centre que l’Armée rouge a fait reculer la Wehrmacht. Au nord, dans les pays Baltes, elle est parvenue à atteindre la mer Baltique, isolant en Lettonie le groupe d’armées Nord allemand, naguère fier assiégeant de Leningrad au cours d’un siège qui avait tué un million civils. Au sud, l’Armée rouge a abattu coup sur coup deux alliés d’Hitler. D’abord la Roumanie, troisième puissance militaire de l’Axe et plus puissant allié de l’Allemagne nazie à l’Est, ayant organisé sa propre Shoah sur le territoire soviétique, y tuant trois cent mille Juifs ; ensuite la Bulgarie, faisant planer sur la Wehrmacht dans le sud des Balkans une menace d’isolement qui a poussé cette dernière à se replier vers le nord de la Yougoslavie et donc à évacuer la Grèce – immédiatement occupée par les forces britanniques, l’Albanie et toute la moitié sud de la Yougoslavie. Enfin, l’Armée rouge a franchi les Carpates et débouché dans les plaines de Hongrie, l’ultime et plus fidèle allié de l’Allemagne au cours des deux Guerres Mondiales.

 

Où en sommes-nous en ce 12 janvier 1945 ? A la différence de l’Ouest, où les forces alliées sont, pour l’heure, sur la défensive stratégique, l’Armée rouge, à l’Est, s’est attelée, dès l’automne 1944, à la planification de ses prochaines opérations de grande envergure. Il en est ressorti le principe de deux nouvelles opérations majeures dont l’ambition est rien moins que de pénétrer à l’intérieur même du territoire allemand [8]. La première, VISTULE-ODER, doit s’élancer à partir des têtes de pont établies pendant l’été 1944 sur la rive occidentale de la Vistule, avec pour objectif de repousser la Wehrmacht à travers la Pologne jusqu’à l’intérieur même des frontières de l’Allemagne, sur le fleuve Oder, dans les régions du Brandebourg et de Silésie. La seconde, PRUSSE-ORIENTALE, doit repousser, voire détruire les forces nazies en Prusse-orientale. Compte tenu du colossal effort logistique préalable qu’elles exigent, ces deux opérations principales sont prévues pour ne pas démarrer avant la seconde quinzaine de janvier 1945.

 

Elles seront un saut dans l’inconnu puisqu’il n’est guère difficile de prédire qu’après avoir infligé plus de trois années de politique d’anéantissement à la population de l’Union Soviétique, les forces allemandes ne se font pas la moindre illusion sur les sentiments des soldats de l’Armée rouge à leur égard ; pour les mêmes raison, il ne faudra pas non plus compter sur l’aide des civils allemands pour fournir des renseignements à l’Armée rouge, qui avancera en terra incognita. Afin de donner un maximum de chances de succès à ce qui ne peut manquer d’être une épopée en territoire ennemi, la Stavka a cherché, en parallèle, à attirer ailleurs des réserves allemandes dont les stratèges soviétiques espèrent qu’elles manqueront ultérieurement à la Wehrmacht sur les fronts principaux, polonais et prussien [9]. Le secteur choisi pour ce faire a été le front hongrois, stratégique aux yeux d’Hitler. En effet, depuis que la Wehrmacht a été repoussée de Roumanie à l’été 1944, la Hongrie est le dernier pays pétrolier encore aux mains des nazis, autrement dit un secteur à défendre à tout prix. La manœuvre semble avoir porté ses fruits puisqu’en ce 11 janvier 1945, cela fait une dizaine de jours que la Wehrmacht s’investit en Hongrie dans des contre-offensives de plus en plus opiniâtres visant à protéger le pétrole du lac Balaton et à rétablir le contact avec la capitale, Budapest, assiégée depuis le mois de décembre.

 

C’est dans ce contexte qu’arrive à Moscou le câble du premier ministre britannique et du commandant en chef des forces alliées en Europe. Ses auteurs ne vont pas être déçus. Pas plus tard que le surlendemain, la Stavka, après avoir examiné la demandé alliée, estime possible de précipiter les ultimes préparatifs de ses prochaines grandes offensives et ordonne d’inaugurer le déclenchement de celles-ci quatre jours plus tard. Au résultat, six jours seulement après l’appel allié du 6 janvier, et en l’espace de soixante-douze heures, l’Armée rouge va lancer successivement contre la Wehrmacht trois offensives dont deux d’envergure majeure, en avance par rapport au calendrier. Le 12 janvier avant le lever du jour, la déflagration des offensives soviétiques retentit.

 

 

L'ORAGE ECLATE

 

Koniev ouvre le bal : l’opération VISTULE-ODER

 

A quatre heures quarante-cinq du matin, dans le sud-est de la Pologne, la nuit glaciale, plongée dans un épais brouillard, est soudain fendue d’un long halo lumineux qui s’étale sur tout l’horizon. Sur une longueur de cent kilomètres, l’artillerie lourde du Premier Front d’Ukraine du Maréchal Ivan Koniev vient d’entrer en action sur le front de la Vistule [10]. L’opération VISTULE-ODER commence.

 

Au bout de seulement quinze minutes, l’artillerie soviétique se tait d’un seul coup. Dans l’obscurité soudain silencieuse, des milliers de frontoviks, qui savent que l’Allemand est resté calfeutré dans ses abris, quittent alors leurs tranchées, s’avancent dans la neige du no man’s land et s’emparent de points défensifs ennemis cartographiés à l’avance ; puis ils s’y terrent à leur tour tandis que dans leur dos, à travers la brume, émerge la pâle lueur du jour [11].

 

A dix heures du matin, l’artillerie déchire à nouveau le silence. Une heure durant, les obusiers soviétiques écrasent d’un déluge de feu et d’acier les lignes encore occupées par les nazis ; puis l’infanterie soviétique attaque et les soldats de la 4e armée blindée allemande, commandée par un vétéran, le général Fritz-Hubert Gräser, qui a perdu une jambe pendant l’opération BARBAROSSA en 1941, occupent immédiatement leurs positions défensives pour livrer la vraie bataille ; mais les frontoviks se tapissent à nouveau tandis que derrière eux, leurs artilleurs déclenchent un troisième tonnerre de feu qui, cette fois, foudroie l’ennemi d’obus et de roquettes tirées par les katiouchas, avant de se taire encore une fois [12]. Il est déjà midi. Koniev lance alors la véritable offensive.

 

Les fantassins et les chars de quatre armées soviétiques au complet s’élancent contre les survivants des divisions allemandes. Aux premières heures de l’après-midi, il n’en reste plus un de vivant dans la première ligne de défense ; la seconde ligne ne tient plus que par endroits. C’est alors que le commandant du Premier Front d’Ukraine fait démarrer deux autres armées, blindées. Avec les années, l’Armée rouge a peaufiné un processus redoutable qui consiste à faire traverser une armée par une autre tout en conjurant ces embouteillages qui sont la marque des armées mécanisées modernes, et les chars soviétiques se faufilent au travers des positions allemandes conquises avant de disparaître vers l’ouest, sur les arrières ennemis. Le brouillard a fini par se lever. Dès lors, le ciel devenu clair s’emplit du rugissement de l’aviation d’assaut soviétique.

 

 

 

 Le Maréchal Ivan Koniev, libérateur de l’Ukraine, vu ici quatre ans plus tôt. Un homme certes ambitieux, mais hautement expérimenté et compétent (cf. « La rage sereine, Ivan Stepanovitch Martynouchkine », paragraphe « Opération LVOV-SANDOMIR »). Le commandant du Premier Front d’Ukraine l’ignore encore mais, sur sa route hivernale se trouve le plus colossal complexe concentrationnaire jamais construit, celui d’Auschwitz.

 

 

En une dizaine d’heures, ce sont pas moins d’un million de soldats et trois mille blindés du Premier Front d’Ukraine qui viennent de passer à l’offensive depuis la vaste tête de pont de Sandomierz (prononcer Sandomierj) qui mord sur la rive occidentale de la Vistule [13]. Lorsque la nuit retombe, vers quatre heures de l’après-midi, les chars de Koniev sont déjà vingt kilomètres derrière les décombres des lignes de la 4e armée blindée dont l’un des deux corps d’armée, en une journée, a cessé d’exister. Les panzers, tapis en réserve plus loin à l’ouest, n’ont pas réagi…

 

Les objectifs du Maréchal soviétique sont de fracturer le front allemand pour pouvoir s’élancer vers les villes polonaises de Kielce (prononcer Kièltsé), Katowice (Katovitsé) et Czestochowa (Tchemsto’hova) puis en direction de la frontière de la province allemande de Silésie, l’un des poumons industriels du Reich, cent cinquante kilomètre à l’ouest de la Vistule. Le coup de poing de Koniev est le premier de l’opération VISTULE-ODER, lancée à partir des trois têtes de pont de la rive occidentale de la Vistule pour repousser tout le groupe d’armées A allemand jusqu’au fleuve Oder, cinq cents kilomètres plus à l’ouest. Le cours du fleuve forme une sorte de chevron évasé qui naît au sud, dans les Carpates tchèques, puis traverse toute la Silésie vers le nord-ouest jusqu’au Brandebourg où il bifurque plein nord jusqu’à la mer Baltique, constituant un obstacle naturel en retrait des frontières de l’Allemagne. Au niveau stratégique, l’objectif de VISTULE-ODER (VISLO-ODERSKAÏA) est donc d’atteindre la « tanière » hitlérienne puis de s’y enfoncer en profondeur, ce qu’aucun belligérant n’a encore jamais fait.

 

 

Tcherniakhovski et l’opération PRUSSE-ORIENTALE

 

Le lendemain 13 janvier, c’est cette fois bien plus au nord, à la frontière de la Prusse-Orientale, qu’un autre groupe d’armées soviétique, le Troisième Front de Biélorussie du général Ivan Tcherniakhovski, inaugure l’autre opération de très grande envergure de la Stavka, l’opération PRUSSE-ORIENTALE (VOSTOTCHNO-PROUSSKAÏA). L’ennemi est cette fois le groupe d’armées Centre allemand du général Georg-Hans Reinhardt, un nazi impitoyable au nerfs d’acier, tacticien virtuose qui a repoussé Tcherniakhovski en Prusse à l’automne précédent [14]. Ses solides défense s’étirent, du nord au sud, de la mer Baltique jusqu’au nord de Varsovie, longeant grosso modo la frontière est de la Prusse-orientale puis s’enfonçant vers le sud, à travers le nord-est de la Pologne, jusqu’au coin gauche du groupe d’armées A.

 

Les concepteurs de la Stavka ont scindé PRUSSE-ORIENTALE en deux mouvements. Dans un premier temps, le groupe d’armées de Tcherniakhovski doit appuyer frontalement sur Reinhardt à la frontière orientale de la Prusse avec, pour objectif sur le terrain, l’emblème du militarisme allemand, la cité-forteresse de Königsberg [15].

 

 

 

 Le général Ivan Tcherniakhovski cumule les superlatifs : seul général juif au monde à commander un groupe d’armées, il a été de surcroît le plus jeune commandant d’armée de l’histoire de l’Armée rouge. A l’âge de trente-neuf ans, il est à la tête du Troisième Front de Biélorussie, soit neuf armées dont deux blindées. La tâche la plus abrupte lui est réservée : en découdre frontalement avec la Wehrmacht à la frontière même du territoire allemand.

 

 

Dans un second temps, son voisin méridional, le Deuxième Front de Biélorussie, tentera de briser le flanc droit du groupe d’armées Centre enterré dans les plaines du nord-est de la Pologne, pour pénétrer plein ouest. Ensuite seulement, son commandant, le Maréchal Constantin Rokossovski, devra opérer un changement d’axe vers le nord-ouest et la mer Baltique, pour encercler le groupe d’armées Centre en Prusse, l’isoler du groupe d’armées A et le détruire.

 

En ce 13 janvier, les frontoviks qui s’élancent contre la Prusse l’ignorent probablement, mais ces confins de l’Allemagne dans lesquels ils vont s’enfoncer sont menés par un connaisseur de leur pays. Son nom : Erich Koch, Gauleiter de Prusse-Orientale [16].

 

 

 

 Erich Koch, Gauleiter de Prusse-Orientale et ex-Commissaire du Reich en Ukraine.

 

 

A l’âge de quarante-huit ans, Erich Koch est un tueur brutal, sans pitié. Membre du parti nazi depuis 1922, il est du nombre des plus vieux fidèles d’Hitler. En 1941, il a été placé à la tête du Reichskommissariat Ukraine (Commissariat du Reich en Ukraine), l’entité administrative taillée sur mesure pour cette République d’Union Soviétique et ses trente-sept millions d’âmes. Il a appliqué d’une main de fer les directives allemandes pour les territoires conquis à l’Est, décidant la mort pure et simple d’une partie de la population par la déportation vers les camps de concentration – vers les ghettos pour les Juifs – ainsi qu’en décrétant la famine organisée. A ces actions radicales qui restent pourtant dans la norme nazie pour l’Europe de l’Est, Erich Koch a ajouté sa touche personnelle : une optimisation de la mortalité au moyen de l’abaissement planifié du niveau d’hygiène. Erich Koch a résumé : « Si je rencontrais un seul Ukrainien digne de s’asseoir à ma table, je le ferais exécuter » car « nous sommes une race de maîtres qui doit se souvenir que le moindre ouvrier allemand est racialement et biologiquement des milliers de fois supérieur à la population autochtone ». Tel est l’homme qui, ce 13 janvier 1945, dirige la Prusse-Orientale depuis Königsberg, à l’heure où les soldats soviétiques tambourinent au portail de son Gau.

 

A l’attention du lecteur français, signalons que face au Gau d’Erich Koch, dans les rangs des frontoviks qui entreprennent l’opération PRUSSE-ORIENTALE se trouvent… des Français. En effet, le groupe d’armées d’Ivan Tcherniakhovksi englobe la 1ère armée aérienne au sein de laquelle opère un groupe de pilotes de chasse français libres, le Normandie-Niémen, qui combat les nazis sur le front de l’Est depuis 1943 (cf. « Projet Rayak, Les batailles du Normandie-Niémen »). Il est sous les ordres du commandant Louis Delfino, un Provençal paternel et aristocratique de trente-quatre ans doublé d’un as chevronné, titulaire de sept victoires aériennes contre la Luftwaffe en 1940 et de six autres remportées dans les cieux de Russie Blanche, des pays Baltes et de Prusse-Orientale. La contribution de ces pilotes aux batailles à l’Est est certes symbolique, mais elle est bienvenue pour une aviation soviétique qui, par exemple, doit affronter les quatre cinquièmes de toute l’aviation d’assaut allemande. Parmi eux se trouve un combattant qui détonne dans les rangs de l’Armée rouge : Roger Sauvage, vingt-sept ans, métis parisien d’origine martiniquaise. Titulaire de sept victoires dont deux en France en 1940, il commande une patrouille du groupe. Il raconte dans ses mémoires :

 

 « Le 11 janvier, Agavelian [chef ingénieur du Normandie-Niémen] nous a réunis, et nous fait, pour le principe, un amphi technique qui nous laisse vaguement somnolents, quand la porte s’ouvre.

 

 C’est Delfino :

 

– Messieurs, l’offensive commence demain.

 

Ce n’était donc pas un bobard ! Les chefs d’escadrilles nous avisent peu après que nous allons nous déplacer vers le terrain de Dopienen (Où est-ce ?)

 

On pense si nous voilà électrisés. De la grande bagarre ! En janvier, qui se fût attendu à ça ! ».

 

 

Ce 13 janvier donc, au-dessus du terrain prussien de Dopienen recouvert de neige, retentit le fracas des quelque cinquante moteurs de mille six cents chevaux des chasseurs Yak-3 des pilotes français qui, de là, vont être aux premières loges du déclenchement de l’opération PRUSSE-ORIENTALE.

 

 

 

 L’un des chasseurs Yak-3 du groupe Normandie-Niémen au décollage. Equipé d’un moteur de 1.650 CV (la puissance de trois camions semi-remorques de quarante tonnes), il approche, en léger piqué, la vitesse de croisière d’un Airbus.

 

  

Le même jour, l’artillerie du Troisième Front de Biélorussie déclenche un tremblement de terre assourdissant contre les défenses allemandes de Prusse-orientale tandis que fantassins et chars passent à l’attaque dans un vent humide et glacial. Les Allemands résistent avec fureur, les pertes soviétiques sont lourdes. Le front tient. La campagne de Prusse-Orientale commence et elle va devenir l’une des batailles les plus terribles qu’ait connues l’Armée rouge, tout particulièrement le purgatoire du front oriental de Tcherniakhovski.

 

Le 13 janvier toujours, six cents kilomètres au sud du bain de sang prussien, éclate une troisième opération offensive soviétique. Dans les Carpates occidentales, en Tchécoslovaquie, le Quatrième Front d’Ukraine d’Ivan Petrov, voisin méridional immédiat du premier Front d’Ukraine de Koniev, passe à son tour à l’action. De moindre envergure – à l’échelle de l’Armée rouge s’entend – l’opération CARPATES OCCIDENTALES (ZAPADNO-KARPATSKAIÄ) contre le groupe d’armées Sud allemand en Tchécoslovaquie répond à des calculs opérationnels qui ne sont pas directement liés aux offensives en Prusse et en Pologne et donc pas aux opérations des sous-marins soviétiques en Baltique. Cette opération n’est donc évoquée ici que parce qu’elle est concomitante à celles qui suscitent les opérations en mer vécues par notre témoin.

 

 

Joukov entre en lice.

 

Le lendemain 14 janvier, l’envergure des opérations de l’Armée rouge monte encore d’un cran. Sur la Vistule, au nord du Premier Front d’Ukraine d’Ivan Koniev entré en lice le 12, son voisin de droite, le Premier Front de Biélorussie du Maréchal Guéorgui Joukov, ouvre le second volet du diptyque VISTULE-ODER. Le plus célèbre général de l’Armée rouge passe à l’attaque à partir des deux « petites » têtes de pont – comparativement à celle de Koniev – conquises à l’été 1944 par le groupe d’armées qu’il commande depuis le mois de novembre. Le Maréchal y a compressé, face à l’aile gauche du groupe d’armées A allemand, rien moins que la moitié de l’infanterie de tout son Front et les trois quarts de ses trois mille chars et dix mille pièces d’artillerie – une pièce tous les quelques mètres. Les fronts des deux têtes de pont, additionnés, approchent la centaine de kilomètres de largeur [17].

 

 

 

 La campagne en hiver près de Pulawy, l’une des deux têtes de pont du Premier front de Biélorussie sur la Vistule, face à la 9e armée allemande.

 

 

Quelques minutes avant neuf heures, le brouillard épais est soudain cisaillé par les éclairs des départs des sept mille pièces d’artillerie du vainqueur de Moscou de 1941, au rythme de trois cents obus lourds par seconde qui vont labourer les défenses nazies. Lorsque l’infanterie soviétique, soutenue par les chars, s’élance contre la première ligne ennemie, cette dernière a déjà cessé d’exister en tant que telle. A dix heures du matin, elle est entre les mains des frontoviks.

 

 

 

 

 

Le Maréchal Guéorgui Joukov, commandant le premier Front de Biélorussie. Sauveur de Moscou en 1941 et architecte des plans soviétiques à Stalingrad et à Koursk en 1942 et 1943, il est le plus célèbre général soviétique de la Seconde Guerre mondiale. Joukov est un homme d’acier à l’énergie surhumaine. Ce 14 janvier, il passe à l’offensive en Pologne contre le groupe d’armées A allemand commandé par général Josef Harpe, que l’Armée rouge affronte depuis l’été 1941 et qui a la surprenante particularité d’avoir créé son propre camp de concentration pour femmes, enfants et vieillards en Biélorussie au printemps 1944.

 

 

Pourtant, dans l’esprit de Joukov, la bagarre n’a pas encore commencé. Tandis que ses soldats s’enterrent dans les décombres de la première ligne conquise et que les Allemands, encore hagards, s’apprêtent à se défendre dans la profondeur, le Maréchal soviétique déchaîne à nouveau le feu de son artillerie, deux fois plus longtemps ; puis il donne le signal de sa véritable offensive et lâche trois armées qui avancent derrière un barrage de feu roulant. Peu après midi, ses soldats ont déjà réduit plusieurs divisions allemandes à l’état de simples symboles sur les cartes d’état-major. Les frontoviks attendent alors que les unités blindées surgissent de l’arrière pour traverser leurs positions et foncer, seules, vers l’ouest, sur les arrières du front allemand, en direction de leurs premiers objectifs situés jusqu’à cinquante kilomètres de distance. Au crépuscule, en fin d’après-midi, les pointes blindées soviétiques ont déjà parcouru vingt kilomètres. Avec l’offensive de Joukov, VISTULE-ODER atteint à elle seule la puissance de toutes les armées terrestres alliées sur le front de l’Ouest.

 

Vassili Grossman, trente-neuf ans, le plus célèbre des correspondants de guerre de l’Armée rouge, est témoin oculaire des événements. Dans la neige de la tête de pont de Magnuszew (prononcer « Mag-noucheff »), il fait face à la rivière Pilica (« Pilitsa ») gelée, qui borde la tête de pont à l’ouest avant de se jeter dans la Vistule. Les Allemands tiennent le seul pont encore intact qui franchit la rivière. Grossman est au milieu de ses vieux frères d’armes de la 8e armée de la Garde, héros mythiques des combats des ruines de Stalingrad, et de leur chef, le bouillant et irascible général Vassili Tchouïkov. Des fantassins d’une armée voisine parviennent à s’emparer du pont sur la Pilica avant que les Allemands n’aient eu le temps de le faire sauter. Aussitôt, Joukov y engouffre toute une armée blindée, les chars à la queue leu leu : la 8e armée de la Garde devra passer à gué. « Nous avons fait sauter la glace et nous avons traversé sur le fond, gagnant ainsi deux ou trois heures. Toute la glace se soulevait en une montagne énorme devant les chars et retombait avec un terrible fracas ».

 

 

En Prusse, Rokossovski épaule Tcherniakhovski.

 

Pour la Stavka, cette journée du 14 janvier n’est pas terminée. Le jour même où Joukov passe spectaculairement à l’offensive pour parachever le lancement de l’opération VISTULE-ODER, son voisin septentrional, le Maréchal Constantin Rokossovski, et son Deuxième Front de Biélorussie, se mettent eux aussi en mouvement. Tout comme Joukov complète VISTULE-ODER, leur rôle est de compléter l’opération PRUSSE-ORIENTALE que Tcherniakhovski a inaugurée la veille dans de dures conditions. Tandis que ce dernier, à la frontière est de la Prusse-orientale, continue d’en découdre avec le groupe d’armées Centre allemand, Rokossovski ajoute à PRUSSE-ORIENTALE le puissant bras gauche voulu par la Stavka qui démarre face à l’aile droit du groupe d’armées Centre de Reinhardt dans le nord-est de la Pologne. La manœuvre est hautement délicate car Rokossovski doit à la fois : atteindre d’abord la frontière prussienne par le sud puis, au-delà, creuser un chemin vers la Baltique dans le dos du général Reinhardt, et assurer le flanc droit de Joukov dans le nord de la Pologne, jusqu’à l’Oder ! Le talent et l’immense expérience du commandant du Deuxième Front de Biélorussie ne seront pas de trop pour cornaquer une telle horlogerie, d’autant que Reinhardt réagit avec son sang-froid et son savoir-faire habituels. Ce dernier lance ses panzers dans de sanglantes contre-attaques qui maintiennent la cohésion de son front face à la puissance d’un choc difficile à encaisser. Les forces nazies lâchent un peu de terrain, mais ne lâchent pas prise.

 

 

  

 

Constantin Rokossovski, issu d’une vielle famille polonaise, est le plus populaire des commandants de groupes d’armées soviétiques. C’est lui qui est en charge de l’opération la plus complexe.

 

 

Malgré les difficultés en Prusse-Orientale, Joukov et Rokossovski viennent de placer, avec les deux nouvelles offensives de la journée, les deux dernières briques de l’architecture offensive de la Stavka.

  

 

Le 14 janvier des Français libres

 

Ce 14 janvier va être l’une des journées mémorables de leur longue saga. Au-dessus des troupes de Tcherniakhovski, dans l’est de la Prusse-Orientale, les pilotes du Normandie-Niémen, à nouveau plongés dans le « grand bain », s’adjugent huit victoires aériennes sans perte contre la Luftwaffe. Tard dans la soirée, Roger Sauvage écrit : « La journée est belle… pour les autres. Je la passe à deux pas de mon Yak, piaffant d’impatience, battant la semelle pour ne pas risquer les pieds gelés, ou me réfugiant, pour prendre un thé, au P.C. du camp, qu’occupe en permanence Delfino. Les nouvelles, chaque heure […] ! Martin qui descend un Messerschmitt, et en rabat un autre sur Déchanet, qui l’envoie percuter au sol. La voix de Michel, assez distincte, qui expédie vers Insterburg une autre patrouille, où Mertzizen, puis Castin et Bleton qui gagnent chacun le droit à un tonneau lent. Etc, etc… […] Le soir, atmosphère de fête. On se réjouit […] Vodka, coups de rouge. Quelques avions boches s’essaient à pilonner le terrain, mais sont chassés par une des plus intenses D.C.A. russes que j’aie connues ».

 

 

Orage dans le ciel

 

Alors que, de la Baltique aux Carpates, le front s’embrase sur mille deux cents kilomètres,  de l’autre côté du Reich, il continue d’onduler nerveusement autour des mêmes lignes. Dans les forêts ardennaises, le 12e groupe d’armées américain ferraille toujours pour reconquérir le terrain perdu tandis qu’en Alsace, Américains et Français du 6e groupe d’armées cèdent du terrain face à des Allemands déchaînés. Globalement, Churchill et Eisenhower prient pour que le chapitre musclé qui vient de s’ouvrir à l’Est incite Hitler à relâcher sa pression sur eux, voire à ordonner à des divisions allemandes au complet de plier leurs bagages. Dans l’attente de l’évolution des événements, les Alliés décident de jouer leur meilleure carte : leurs bombardiers stratégiques.

 

A dix heures et demie du matin le 14 janvier, l’aviation du Reich est mise en état d’alerte. Un millier de bombardiers lourds américains, escortés par un nombre comparable de chasseurs, pénètrent le ciel de l’Allemagne en direction de cinq raffineries d’essence synthétique. L’objectif de la 8e Air Force est double : d’une part, poursuivre les attaques contre l’industrie allemande d’essence synthétique, talon d’Achille de toutes les forces militaires du Reich, qu’elles soient terrestres, navales ou aériennes ; d’autre part, continuer de forcer au combat l’aviation allemande de chasse de jour, bien obligée, une fois de plus, de décoller pour défendre son propre carburant. L’offensive aérienne américaine du 14 janvier, la première de l’année, attire une nouvelle fois des centaines de chasseurs allemands dans un piège mortel. En effet, la chasse diurne de la Luftwaffe combat sur d’innombrables fronts depuis plus de cinq ans. Si ses as, ses Experten comme disent les Allemands, ont accumulé exploits et superlatifs, c’est au prix d’une usure inhérente au nombre incalculable de batailles qu’ils ont livrées, de l’océan Atlantique au Caucase et du Sahara au cap Nord. Ses « moustachus » ne sont maintenant plus qu’une minorité, le reste des effectifs étant constitué de jeunes pilotes de plus en plus mal formés… par manque de carburant, entre autres. La plupart des « bleus » ne font pas long feu face aux pilotes alliés formés en nombre et avec patience. Leurs pertes, effroyables, doivent être comblées à un rythme que la Luftwaffe ne va plus pouvoir tenir encore longtemps. Ce 14 janvier, l’U.S. Air Force, au prix – tout de même – d’une trentaine d’avions américains abattus en une journée – essentiellement par les ci-devant Experten, inflige à la chasse diurne allemande une énième « défaite dont elle ne peut se remettre » ; mais cette fois, c’était celle de trop. La chasse allemande de jour ne s’en remettra pas et elle ne pourra désormais plus affronter de manière significative les grandes formations de quadrimoteurs américains. Corollairement, elle sera encore moins présente qu’auparavant sur les deux fronts [18].  Quant aux bombardements sur les raffineries en eux-mêmes, ils ne font qu’aggraver encore la pénurie d’essence.

 

Dans la nuit qui suit, ce sont cette fois près de six cents bombardiers lourds de la Royal Air Force britannique, de véritables démolisseurs avec leurs charges de bombes supérieures à celles de leurs équivalents américains, qui s’en prennent à la raffinerie d’essence synthétique de Leuna, lui infligeant des dégâts considérables – au prix de dix nouveaux appareils perdus.

 

 

CHEVAUCHEE FANTASTIQUE EN POLOGNE

 

Le 15 janvier, Joukov a déjà lancé deux armées blindées au travers des trous béants qu’il a forés la veille dans le front allemand à l’ouest de la Vistule. Le beau temps est revenu, l’aviation d’assaut soviétique décolle ; mais le grondement des panzers, réactifs comme des fauves malgré les moins vingt degrés, surgit dans la neige. Les masses blindées allemandes et soviétiques se percutent littéralement. Les divisions de panzers alignent des chars de quarante-cinq tonnes, les armées blindées de la Garde soviétique aussi. La mêlée est brutale. Les canons antichars rugissent, les avions d’assaut Chtourmovik fondent sur les chars ennemis à la bombe, au canon, à la roquette, le coup de griffe farouche des panzers subit un coup d’arrêt. Joukov éperonne immédiatement ses blindés qui reprennent leur folle chevauchée. Leurs objectifs : encercler Varsovie, avant-guerre capitale de la Pologne, aujourd’hui épicentre du dispositif nazi à l’Est ; mais également tendre la main, beaucoup plus loin, vers la ville industrielle de Lodz (prononcer Ouodj), éloignée de… cent trente kilomètres. Au soir, l’une des armées du Premier Front de Biélorussie en a englouti quatre-vingts [19].

 

A la main gauche de Joukov, chez Koniev, les deux armées blindées que ce dernier avait propulsées à travers la percée ont déboulé en plein dans la réserve de panzers ennemie, complètement surprise. Déferlant entre les chars allemands, les blindés soviétiques ont ouvert le feu de leurs canons de 85 et 122 mm, jusqu’à bout portant, sans leur laisser le temps de respirer. Puis, s’étant à peine arrêtées, les deux meutes sur roues ont repris leur charge terrible vers l’ouest. Soixante-dix kilomètres ne les séparent plus que de Cracovie, la Babel du Gouvernement général de Pologne.

 

Comme une onde de choc, les nouvelles atteignent Berlin : la réserve blindée qui faisait face à Joukov a fondu et celle qui faisait face à Koniev ne donne pas de nouvelles. Hitler, tendu comme un arc, riposte. D’un trait de plume, il démet de ses fonctions le commandant de tout le groupe d’armées A, le très vieux routier du front de l’Est Josef Harpe, pour lui substituer le général Ferdinand Schörner, un hitlérien illuminé et monolithique qui n’a peur de personne. Plus significativement, il décide de prendre sur le front de l’Ouest, et sur d’autres, les divisions nécessaires au rétablissement de la situation à l’Est. Enfin, il ordonne que les chars neufs qui sortiront des usines soient canalisés en direction des unités qui font face à l’Armée rouge. Ces décisions sont précisément celles que Churchill et Eisenhower appelaient de leurs prières. En trois journées de combats, les frontoviks de Koniev et de Joukov viennent ainsi de signer l’accusé de réception au courrier reçu par Moscou le 6 janvier.

 

Toujours ce 15 janvier, au-dessus du bain de sang qui se poursuit en Prusse, les Français libres du capitaine Delfino ont signé une véritable hécatombe : dix-neuf avions allemands abattus en une seule journée ; mais l’un de leurs vétérans, Charles Miquel, vingt-trois ans, aussi bon tireur dans le ciel qu’au pistolet, a été vu pour la dernière fois traînant derrière son Yak le panache blanc de glycol qui ne pardonne pas. On ne le reverra jamais.

 

 

Le purgatoire prussien

 

Le 16 janvier, tandis qu’en Pologne, les chars de Koniev et de Joukov poursuivent leurs chevauchées d’acier, la Prusse, elle, continue d’opposer une résistance farouche. Il faut aux frontoviks des sacrifices surhumains pour arracher quelques kilomètres de forêt à une Wehrmacht qui s’accroche à chaque mètre, surgissant pour ouvrir le feu à bout portant au lance-grenade antichar contre les blindés de Tcherniakhovski. Néanmoins, au bout de quatre jours de carnage, les soldats du général juif prennent une première petite ville prussienne, Schlossberg, à dix kilomètres de leurs lignes de départ [20]. Encore l’arrivée du ciel bleu n’y est-t-elle pas pour rien puisqu’enfin, l’aviation d’assaut soviétique a pu décoller. Plus au sud-ouest, Rokossovski, en proie à de violentes contre-attaques de panzers, n’arrive pas non plus à percer. Tout au plus a-t-il pu faire reculer un peu la Wehrmacht. Le chef du Deuxième Front de Biélorussie prend alors la décision de faire entrer en lice prématurément l’armée blindée qu’il conservait précieusement en attendant une percée.

 

Le lendemain 17 janvier, au-dessus des casques des soldats allemands en Prusse, « ceux du Neu-Neu » croisent toujours le fer avec la Luftwaffe, remportant encore six nouvelles victoires ; mais l’une de leurs figures de légende, René Challe, rentre ce jour-là du ciel de Prusse le bras gauche découpé en trois morceaux par les obus d’un chasseur allemand. Ce sera le dernier jour de guerre de cet ancien de la campagne de France de 1940 où il avait déjà été blessé au combat et qui, après avoir connu les geôles de Franco, était parvenu jusqu’en Afrique du Nord avant de rejoindre la France Libre et de se porter volontaire pour l’Armée rouge.

 

 

Coup de poing dans une fourmilière

 

Ce 17 janvier, les deux armées allemandes qui faisaient face à Koniev et à Joukov sur la Vistule ont été cisaillées en morceaux. Emiettées, elles ont cessé d’exister en tant que telles. Leurs réserves de panzers ne sont plus que des débris errant dans la plaine, se cherchant les uns les autres pour s’amalgamer et tâtonner en direction de l’ouest, entre les colonnes de chars soviétiques, à la recherche d’un front dont elles ignorent où il se trouve et s’il existe encore. Les blindés des deux Maréchaux soviétiques ne s’arrêtent même pas pour les intercepter. Ils roulent vers l’ouest, encerclant des villes polonaises tout en fonçant déjà vers les suivantes. Ceux de Koniev entrent dans Czestochowa (prononcer Tchemsto’hova) – la ville du tout premier massacre de civils polonais par la Wehrmacht en 1939 – à cent trente kilomètres de leurs lignes de départ et à seulement trente kilomètres de la frontière silésienne. La veille encore, les six mille derniers Juifs qui restaient en ville ont été précipités à la dernière seconde dans des trains qui ont démarré pour le camp de concentration de Buchenwald, six cents kilomètres plus à l’ouest ; après quoi la garnison allemande a quitté la ville.

 

Quelques kilomètres à l’ouest commence le territoire d’une région de Pologne que les nazis ont mise sur pied en 1939 : le Wartheland.

 

Ces derniers y ont pratiqué l’extermination progressive des habitants polonais afin que des colons allemands puissent venir prendre leur place. Pour ces derniers, venus s’installer en nombre, les progrès fulgurants de l’Armée rouge sont une calamité. Dans une ambiance de fin du monde, ils plient leurs valises pour disparaître vers l’ouest avant que les Russes n’arrivent. Une petite centaine de kilomètres plus au sud, à cinquante kilomètres de distance des soldats de Koniev les plus avancés, dans le sud de la Pologne, le camp principal du complexe d’Auschwitz est lui aussi frappé d’agitation. Les SS rassemblent en désordre tous les déportés qu’ils ont pu trouver dans les dizaines de camps satellites, soit plusieurs dizaines de milliers de personnes. Longtemps après la tombée de la nuit, dans le froid glacial, ces derniers sont emmenés dans l’obscurité, en longues colonnes, dans une marche de la mort vers l’ouest. Avant le départ, les SS coupent le chauffage, ne laissant derrière eux que la lumière électrique pour les derniers miradors qui gardent encore les six cents derniers déportés trop malades pour marcher. La même nuit, un autre camp vit ses derniers soubresauts : celui de Chelmno, le seul camp d’extermination du Wartheland. Situé à la latitude des troupes de Rokossovski, il en est encore éloigné de deux cents kilomètres ; mais les nazis sont déjà en tain de le détruire [21]. Dans la frénésie, deux déportés parviennent à se faufiler et à se faire la belle. Sur les cent cinquante mille Juifs qui, de leurs yeux, auront vu Chelmno en activité, ils seront les deux seuls à pouvoir le raconter. Enfin, toujours au cours de cette même nuit, au bord de la Vistule, c’est Varsovie elle-même qui bruisse. La ville n’est plus qu’un immense champ de ruines depuis les deux mois qu’a duré son insurrection de 1944. Dans les ténèbres, ses derniers soldats allemands fuient discrètement ses décombres pour échapper à l’encerclement mené par deux armées de Joukov.

 

 

 

« Tanières de pierre » et miradors

 

Le lendemain, Vassili Grossman fait ses premiers pas dans les vestiges de Varsovie où errent, hagards, les survivants de l’Occupation. Dans son bloc-notes, il saisit leurs « visages de papier » qui émergent de « tanières de pierre » au cœur d’une « mer de briques » dans lesquelles les rues d’antan ont été englouties sous les gravats recouverts de neige. Il reste encore quelques Juifs vivants, « transformés en rats », sortant des bouches d’égouts où ils survivaient. Dans les ruines du ghetto détruit en 1943, le correspondant de guerre découvre les « cendres de corps brûlés »…

 

 

 Varsovie telle que la découvre Vassili Grossman.

  

 

Au sud de la Prusse, Rokossovsski casse le verrou allemand. 

 

18 janvier, Prusse-Orientale. Cela fait cinq jours que les frontoviks de Tcherniakhovski se sont engouffrés en enfer. Chaque jour en moyenne, un millier d’entre eux est tué et quatre mille autres sont blessés. Et pourtant, il manque au général Reinhardt une division de panzers d’élite, qu’Hitler a faite monter dans des trains dès la percée de Joukov pour l’envoyer vers Lodz, en Pologne ; le beau temps a surgi, l’aviation soviétique est brutalement entrée en lice. Malgré tout cela, le Troisième Front de Biélorussie ne parvient toujours pas à emporter les lignes ennemies. Tcherniakhovski, qui voit ses soldats se sacrifier dans des combats inhumains, se résout alors à jouer le tout pour le tout. Il engage l’armée de la Garde et l’un des corps blindés qu’il tenait en réserve. C’est la goutte d’eau qui va faire déborder le vase. Les Allemands qui, eux, n’ont plus de réserve, accusent le choc, lâchent prise, reculent, mais en bon ordre. Le Troisième Front de Biélorussie s’empare de Kussen, à vingt-cinq kilomètres à l’ouest de Schlossberg. Ce n’est qu’un gros village ; mais Tcherniakhovski sent que le « fasciste » commence à transpirer et à serrer les dents.

 

C’est plus au sud-ouest que l’armée rouge va jouer le coup qui va faire basculer la situation. A une soixantaine de kilomètres au sud de la frontière prussienne, le Deuxième Front de Biélorussie de Constantin Rokossovski n’avait jusqu’ici réussi qu’à repousser de quelques kilomètres un front allemand solide comme un roc, cimenté par les habiles allées et venues d’un concentré d’unités de panzers. Le Maréchal soviétique a alors fait le pari de miser sa réserve blindée qui, en arrière, attendait toujours patiemment la percée. L’arrivée de cette dernière au front a attiré sur elle les blindés allemands comme un paratonnerre, mais ceux de Rokossovski ont encaissé la violence du choc, puis sont parvenus à creuser leur route au travers de l’ennemi au point de déchirer en deux l’armée qu’ils avaient en face d’eux. Au sud de la Prusse, le front du groupe d’armées Centre est percé. Mieux : les pointes du Deuxième front de Biélorussie s’enfoncent désormais vers le nord-ouest, sous la forme d’une « langue de serpent » : une pointe droite déportée vers le nord, droit vers la frontière prussienne, repoussant à sa droite une demi-armée allemande ; l’autre, orientée un petit peu plus vers l’ouest, vers la boucle de la Vistule à Bydgoszcz  (prononcer « Bidgocht »). Cette pointe crée une menace : celle de bifurquer vers le nord pour pénétrer, à partir du sud, l’ouest de la Prusse-Orientale, et donc d’encercler la quasi-intégralité du groupe d’armées Centre allemand.

 

 

Koniev touche la Silésie, Rokossovski la Prusse.

 

A la nuit tombée, à l’autre bout de la Pologne, à quarante-cinq kilomètres à l’ouest des éléments les plus avancés de Koniev, le camp d’Auschwitz, frigorifié par moins vingt degrés depuis que le chauffage y est coupé, grince encore : les derniers SS s’en vont. Cette fois, ils éteignent la lumière derrière eux avant de s’éclipser. Dans la même nuit, cent kilomètres plus au nord-ouest, les avant-gardes du Premier Front d’Ukraine, fantômes dont les moteurs grondent sous le scintillement froid de la lune qui se réverbère sur la neige, atteignent la frontière orientale de la Silésie. Après la Prusse, la Silésie est la seconde province d’Allemagne nazie atteinte par l’Armée rouge. Toujours au même moment, Chelmno, qui n’est maintenant plus qu’à cent cinquante kilomètres à l’ouest des éléments de tête du Deuxième Front de Biélorussie, résonne de claquements secs : les SS tuent un à un, à coup de pistolet, tous les Juifs. Le calme revenu, ils brûlent les documents du camp. Au petit matin du 19, ils s’en vont, laissant retomber le silence sur ce qui fut l’unique camp d’extermination du Wartheland.

 

Plusieurs heures s’écoulent. Les chars de Rokossovski franchissent la frontière sud de la Prusse. Pour les habitants du Gau d’Erich Koch, comme pour ceux du Wartheland quelques jours plus tôt, la perspective de voir des soldats russes les yeux dans les yeux devient soudain palpable. A leur tour, ils prennent la fuite tandis que dans le ciel, les Français libres ajoutent neuf nouvelles victoires aériennes à leurs succès, sans aucune perte. Leur légende commence à faire du bruit au point que Staline lui-même les cite à son ordre du jour.

 

 

Joukov pénètre au Wartheland.

 

Trente-six heures seulement après avoir expulsé les nazis de Varsovie, les unités de Joukov entrent cette fois dans Lodz, cent vingt kilomètres plus à l’ouest. L’agglomération industrielle est la première grande ville du Wartheland à être abandonnée par les Allemands. Vassili Grossman y est déjà. Il pénètre dans Lodz, que les nazis n’ont même pas eu le temps de détruire avant de la quitter. « La Gestapo. L’édifice est intact, tout est en place. Sur la chaussée traînent des portraits tout en magnificence des chefs du parti nazi. Des enfants en bottes de feutre déchirées dansent sur les visages de Goering et de Hitler […].  Les Allemands avaient expulsé tous les paysans polonais de chez eux […] et les avaient installés dans des cahutes misérables, en les obligeant à travailler pour le compte d’Allemands […]. Les enfants des paysans polonais n’étaient pas scolarisés, ils étaient contraints au travail […]. Les Allemands arrivèrent en deux vagues : l’une en 1941, l’autre en 1944 […]. On assigna à résidence les ouvriers agricoles, on leur interdisait de bouger, ils étaient esclaves. On interdisait aux Polonais d’entrer dans les magasins, les parcs, les jardins […]. Les Polonais étaient condamnés à trois mois de prison s’ils utilisaient des briquets à essence […] ». Les soldats du Premier Front de Biélorussie ouvrent les portes du ghetto par où sont passés deux cent cinquante mille Juifs. Il y trouvent huit cents soixante dix-sept personnes en vie, dont quatorze enfants.

 

 

La chute de la capitale du Gouvernement général

 

Ce 19, Koniev, de son côté, atteint Cracovie, capitale du Gouvernement général, l’Etat créé par l’Allemagne en 1939, sur le territoire duquel les frontoviks ont progressivement découvert, l’un après l’autre, quatre des six plus importants camps d’extermination nazis. La ville, splendide, intacte, abrite le château de l’un des maîtres tueurs du Reich, le tortueux gouverneur Hans Frank. Architecte du ghetto de Varsovie, il a envoyé des millions d’êtres humains mourir dans les camps de travail ou d’extermination de sa toute-puissante satrapie. Deux jours avant que les soldats de Koniev n’atteignent Cracovie, il a abandonné son palais pour un autre, plus à l’ouest, en Silésie.

 

 

 

 

Le cœur de la Shoah : les frontoviks découvrent le château de Wawel à Cracovie, repaire de Hans Frank, membre du parti nazi depuis vingt-deux ans et gouverneur du Gouvernement général. « Hitler est seul, comme Dieu », disait-il. Quarante-sept ans plus tard, la ville sera le décor du film de fiction La liste de Schindler de Steven Spielberg.

 

 

Hitler, depuis sa monumentale chancellerie, braque ses yeux sur la menace que le mouvement de Rokossovski fait peser sur la Prusse-Orientale. En effet, les terres d’Erich Koch sont le verrou stratégique de la mer Baltique, dernier espace maritime où les sous-marins, unique arme stratégique qui reste au Reich, peuvent former et entraîner leurs équipages. Les deux cents kilomètres de côte prussienne abritent cinq de leurs bases, dont trois des plus grandes de toute l’Europe nazie, et l’Allemagne se saigne aux quatre veines pour maintenir à niveau l’approvisionnement en gas-oil nécessaire aux diesels des U-Boote [22]. Hitler décide de prélever des divisions sur la poche de Courlande pour les transporter par mer jusqu’en Prusse-Orientale.

 

 

 

 La base sous-marine de Gotenhafen, en Prusse-Occidentale.

 

Le 20 janvier, tandis qu’Hitler est en train d’ajuster sa stratégie, deux nouvelles armées du Premier Front d’Ukraine, dont une blindée, franchissent à leur tour la frontière silésienne, mais soixante kilomètres plus au nord-ouest que la première. Koniev peut maintenant ambitionner d’entrer dans Breslau, la capitale de ce poumon houiller et industriel qui nourrit les forces armées nazies [23]. L’affaire semble d’autant mieux engagée que la météo, magnanime, ouvre le ciel à l’aviation soviétique. L’irruption de Koniev à cent kilomètres seulement de la ville y provoque un véritable choc électrique : ses habitants, saisis d’une panique encore plus grande que celle qui avait frappé Moscou en 1941, bravent les vingt degrés en-dessous de zéro pour se déverser sur les routes en convois de plus de dix kilomètres de long.

 

 

Rokossovski s’enfonce dans les forêts prussiennes.

 

La même journée, les soldats du Deuxième Front de Biélorussie commencent à s’aventurer dans l’intérieur du territoire prussien. Ils y prennent la ville de Neidenburg, ancienne forteresse des chevaliers teutoniques devenue une ville de vingt mille habitants, une quinzaine de kilomètres derrière la frontière allemande.

 

Le lendemain, dans l’est de la Prusse, le coup de collier des frontoviks de Tcherniakhovski leur vaut de pénétrer dans Gumbinnen [24]. Certes, la ville n’est distante que de quinze kilomètres de leurs lignes de départ, mais elle est tout un symbole car c’est elle qui avait donné son nom à leur opération malheureuse d’octobre 1944. De plus, sa prise signifie que désormais, c’est sur un front de cent kilomètres de large qu’ils font reculer le groupe d’armées Centre allemand.

 

 

 

 Char lourd IS-2 du Troisième front de Biélorussie ayant participé à la prise de Gumbinnen. Ces chars de combat lourds modernes de 46 tonnes, équipés d’un canon de 122 mm, n’ont pas d’équivalents dans les armées alliées. Equivalents ou supérieurs à la plupart des panzers à l’exception des Tigre II qui leur tiennent la dragée haute, ils sont désormais présents dans tous les corps blindés soviétiques.

 

 

Pendant que Tcherniakhovski, les mains en sang, commence enfin à pousser le groupe d’armée Centre vers Königsberg, que Rokossovski, de son côté, progresse dans le sud de la Prusse-Orientale tout en étendant lentement son bras gauche dans le nord de la Pologne, Joukov, dans l’intérieur des terres, éperonne le marathon frénétique de ses deux armées blindées, elles-mêmes talonnées par ses autres armées qui semblent leur livrer une véritable course de vitesse. Les chars de la 1ère armée blindée de la Garde du redoutable général Mikhaïl Katoukov, tout premier commandant de blindés de la Seconde Guerre Mondiale à avoir stoppé une division de panzers en 1941, sont à vingt kilomètres de Posen, la capitale même du Wartheland [25].

 

 

 

 

Un char moyen T-34 se fraie son chemin à travers un cours d’eau en direction de Posen (reconstitution sur les lieux, 2014). Les T-34/85, équipés d’un canon de 85 mm comme leur nom l’indique, ont progressivement remplacé les anciens T-34/76 en 1944. S’ils peuvent aisément affronter les chars moyens allemands, il leur faut plus d’astuce pour se mesurer aux panzers lourds.

 

  

Quelques jours plus tôt seulement, Posen était encore la quintessence du paradigme nazi selon son énergique et méticuleux Gauleiter, Arthur Greiser. Aujourd’hui, dans le Gau, c’est la pagaille : les colons allemands qui y avaient pris possession des terres et des entreprises polonaises abandonnent précipitamment leurs coquettes fermes et leurs esclaves polonais, et fuient en désordre en direction de la frontière allemande. Greiser leur a lui-même conseillé de prendre la poudre d’escampette – payant de sa personne le premier. De son côté, le général Schörner, nouveau commandant du groupe d’armées A, déploie toute son énergie pour empoigner les rênes de ce qui reste de ses unités, qui tentent de se frayer un chemin vers l’Allemagne dans un brouillard sillonné par les pointes blindées de l’Armée rouge qui les harponnent au passage. 

 

 

L’opération HANNIBAL

 

Hitler, debout les sourcils froncés devant ce chambardement, garde les yeux soudés à la Prusse-orientale et à ses sous-marins. Il fait accourir à la chancellerie le commandant suprême de la Kriegsmarine et l’âme de la U-Bootwaffe, l’amiral Karl Dönitz. Gravement, les deux hommes déplient la carte ; la situation leur saute aux yeux : c’est bien la côte de la Baltique que visent les forces de Rokossovski, et donc l’encerclement de la Prusse-Orientale. Même les bases navales de Prusse-Occidentale voisine, Dantzig et Gotenhafen, sont menacées [26]. Hitler et Dönitz prennent la décision de faire appareiller toute la flotte sous-marine des bases prussiennes en direction de l’ouest. Les U-Boote eux-mêmes voyageront par leurs propres moyens. Les personnels, dont ceux des écoles, seront transportés par les navires de surface. Toutes les bases abandonnées en Prusse doivent sauter, Dantzig et Gotenhafen comprises ; Memel, en Lituanie, sautera elle aussi [27].

 

 

 

L’amiral Karl Dönitz (de face), discret mais inébranlable fidèle d’Hitler, dans le feu de la conversation avec (de gauche à droite) le Maréchal Wilhelm Keitel, chef d’état-major de la Wehrmacht ; le Maréchal Hermann Göring ; le Reichsführer SS Heinrich Himmler et Martin Bormann, successeur de Rudolf Hess, lui-même successeur d’Hitler à la tête du parti nazi.

 

  

Tous les navires que l’amiral Dönitz aura pu affréter participeront à cette transhumance maritime d’une ampleur considérable. Ils puiseront dans les précieux stocks de gas-oil du Reich mais aussi sur ses stocks de charbon soudain rendus précieux à leur tour par la proximité des soldats de Koniev en Silésie. S’il reste de la place à bord, on y ajoutera des soldats de la Wehrmacht blessés ou des civils allemands. Ils prendront la mer à partir des ports de Pillau, en Prusse-Orientale, et Hel, Dantzig et Gotenhafen en Prusse-Occidentale [28]. Nom de code de l’opération : HANNIBAL.

 

 HANNIBAL va déclencher un chaos apocalyptique dans les ports de Prusse puisqu’aux personnels de la Kriegsmarine vont s’agglomérer non seulement ceux de l’administration nazie mais en outre, effectivement, les soldats de la Wehrmacht blessés au front ainsi que les nuées de civils allemands qui fuient devant l’opération PRUSSE-ORIENTALE : dans la nuit qui suit la conférence, le Gauleiter Erich Koch constate que seules quelques dizaines de kilomètres ne séparent plus sa capitale, Königsberg, des frontoviks de Tcherniakhovski. Il file prudemment à la gare pour s’installer à bord de son confortable train personnel qui, bientôt, s’ébranle en direction de Pillau, cinquante kilomètres plus à l’ouest.

 

 A suivre …

 

 

Pierre Bacara

 

 

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[Témoignages]

 

 

[1] Paris a également été libérée par la 4e division d’infanterie américaine, régulièrement oubliée par les manuels scolaires français pourtant habitués à présenter la défaite de la Wehrmacht comme une victoire militaire américaine. [Retour au texte]

 

[2] « Loups gris » : surnom donné par la Royal Navy britanniques aux sous-marins allemands, probablement à partir du moment où ils commencent à agir par groupes et non plus isolément, l’analogie entre ces groupes de prédateurs et des meutes de loups venant naturellement à l’esprit. L’expression se généralisera ensuite dans toutes les marines alliées. Par extension, on rencontre également l’expression « Loups blancs » pour désigner les U-Boote opérant dans l’océan Arctique. [Retour au texte]

 

[3]  A titre d’exemple, quatre semaines plus tôt, la veille de Noël en milieu de journée, alors que le convoi maritime allié WEP-3 navigue au large de Cherbourg, pourtant un bastion maritime allié, il est attaqué par l’U-486 de l’enseigne de vaisseau Gerhard Meyer, venu de la base sous-marine de Bergen sur les côtes norvégiennes. Meyer coule le transport de troupes belge de onze mille tonnes Leopoldville, qui transportait plus de deux mille hommes de la 66e division d’infanterie américaine. Plus de sept cents d’entre eux disparaissent corps et biens. Sur ordre du quartier général allié, les informations concernant cette attaque sont classées secrètes. Quarante-huit heures plus tard, l’U-486 envoie par le fond le destroyer HMS Capel de la Royal Navy, qui emporte avec lui soixante-seize de ses marins. Au cours du même engagement, Mayer inflige également de lourds dégâts à un autre destroyer britannique, le HMS Affleck. Une semaine plus tôt, au large de la Cornouaille, le U-Boot avait coulé le cargo britannique Silverlaurel. Quatre jours après la disparition du HMS Capel, un avion anti-sous-marin canadien repère l’U-486 et l’attaque, mais ce dernier lui échappe. Ce 11 janvier 1945, l’U-485 du lieutenant de vaisseau Friedrich Lutz, lui aussi basé en Norvège, est à son tour dans les eaux de Cherbourg.

 

Le danger est omniprésent : l’U-1232 du capitaine de vaisseau Kurt Dobratz est à cinquante kilomètre au large… des côtes canadiennes. Une semaine plus tôt, le convoi allié SH-194 a eu le malheur de croiser sa route ; le cargo norvégien Polarland a coulé en quinze secondes et le pétroler canadien Nipiwan Park a eu la proue emportée par une torpille. Quant à l’U-510 du lieutenant de vaisseau Alfred Eick, il appareille ce 11 janvier de la base de U-Boote de Batavia (aujourd’hui Jakarta), en Indonésie japonaise, pour la base de Saint-Nazaire… toujours occupée par les Allemands.

 

Les navires alliés ne se sentent en sécurité nulle part dans le monde.

 

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[4] Plus précisément U.S. Army Air Force, ou force aérienne de l’armée de Terre des Etats-Unis. A l’inverse de ce qui est en vigueur en Union Soviétique ou au Royaume-Uni, les forces aériennes des Etats-Unis ne sont pas encore une arme à part entière – pour des raisons politiques complexes. [Retour au texte]

 

[5] Les premiers doutes du Reichsführer SS peuvent être situés au printemps 1944. A cette date, der treue Heinrich – le « fidèle Heinrich », comme le surnomme affectueusement Hitler – tente pour la première fois de prendre contact avec les Anglo-Saxons dans l’idée de leur proposer un retournement d’alliance contre l’Union Soviétique. Le 25 avril 1944, un agent hongrois de Himmler, Andor « Bandi » Grosz, engage un processus « diplomatique » sinueux qui doit lui permettre de rencontrer des représentants des Alliés. Il y parviendra. Qu’est-ce qui, chez le « fidèle Heinrich », induit une telle posture ? A cette époque de la Seconde Guerre Mondiale en Europe, l’événement récent de plus grande ampleur est le succès de l’Armée rouge en Ukraine, où les forces soviétiques ont, en cinq mois, fait reculer de plus de trois cents kilomètres un front allemand large de sept cents. Il se peut que la « première bataille de Berlin » ait, elle aussi, exercé une influence sur les méditations du maître de l’Ordre noir. Il s’agit de la bataille aérienne qui, des mois durant, a déchiré les cieux nocturnes de la capitale nazie, opposant les bombardiers lourds de la Royal Air Force aux chasseurs de nuit de la Luftwaffe. Si cet affrontement herculéen s’est soldé par une défaite stratégique britannique, il n’en a pas moins laissé à l’état de ruines un quart du Grand Berlin. En revanche, ce ne sont probablement pas les événements du front d’Italie qui ont perturbé Himmler car, à cette date, la Wehrmacht y a stoppé ses adversaires britanniques, américains, français et polonais. [Retour au texte]

 

[6] L’opération WACHT AM RHEIN, lancée en décembre 1944, implique les deux armées blindées qui constituent le groupe d’armées B du Maréchal Walter Model. Elle est assénée avec des chars lourds dernier cri et un effet de surprise total, par une météo qui cloue au sol les avions alliés, qui plus est selon un itinéraire qui a fait ses preuves en 1940. Pourtant, elle est un échec. Pourquoi ?

 

Tout d’abord parce la prouesse de 1940 reposait sur des panzers qui, pour fragiles et sous-armés qu’ils fussent, étaient petits, légers, faciles à ravitailler car ne consommant pas plus d’une centaine de litres d’essence aux cent kilomètres. Quatre années de guerre plus tard, Hitler veut rééditer l’exploit avec les monstres de quarante à soixante-dix tonnes qui ont succédé à ces reliques et qui engloutissent entre trois cents et cinq cents litres aux cent kilomètres. Or, depuis le tournant de l’été et de l’automne 1944, l’Allemagne manque précisément d’essence. Sa principale vanne d’or noir, les champs pétroliers roumains, a été conquise par l’Armée rouge en août 1944 et, depuis septembre, les bombardiers lourds de l’US Air Force visent de plus en plus les raffineries allemandes qui transforment en carburant synthétique le charbon des mines de Silésie et de la vallée de la Ruhr. De plus, le transport du carburant qu’exige la boulimie des unités blindées de tête impose un flux tendu de camions peu compatible avec les frustes voies de communications des forêts ardennaises. Celles-ci, dès le début de WACHT AM RHEIN, sont paralysées par des embouteillages labyrinthiques où s’agglomèrent, pêle-mêle, les unités blindées, d’infanterie, d’artillerie et celles… du train, qui transportent justement l’essence.

 

Par ailleurs, les commandants de panzers savent qu’il leur faut exploiter la surprise totale avant que les Américains n’aient eu le temps de réagir et de dépêcher vers les Ardennes des unités d’une pointure conforme à l’ampleur de la bataille qui vient d’éclater. Les chefs d’unités blindées allemands sont contraints de retrouver leurs vieux réflexes de la guerre en profondeur : ne pas gaspiller une seconde ; au premier obstacle, ne pas s’enliser, mais au contraire chercher immédiatement ailleurs une voie libre. Cette tactique paraît de bon sens face aux minces défenses que les Américains ont mises en place dans une région où ils n’imaginaient pas une seconde une offensive ennemie. Cependant, lorsque les panzers passent à l’attaque, ils se heurtent à des défenseurs qui réagissent avec abnégation et à propos. Les lourdes pertes consenties par les Américains, conjuguées à la tactique de l’assaillant, ont pour résultat de faire « rebondir » les Allemands sur toutes les positions défensives qu’ils ne balaient pas à la première foulée. Les panzers perdent alors un temps d’autant plus inestimable que la météo infecte – brouillard à couper au couteau et interminables chutes de neige – ne peut pas durer éternellement. Tôt ou tard, le ciel s’éclaircira et l’aviation alliée surgira. Or, celle-ci est maîtresse du ciel au-dessus du front depuis que la Luftwaffe est siphonnée par ses batailles dans le ciel du Reich contre les bombardiers de l’US Air Force. En particulier, les redoutables chasseurs-bombardiers Typhoon de la Royal Air Force, pour l’heure cloués sur le plancher des vaches, attendent l’heure de démarrer leurs moteurs.

 

La résultante de ce sanglant ballet d’acier gourmand en carburant est qu’au bout d’une semaine, les avant-gardes des panzers tombent en panne d’essence le nez devant leur objectif, la Meuse, et au plus mauvais moment : les renforts américains arrivent et le ciel, soudain devenu bleu et aveuglant, s’emplit de chasseurs-bombardiers. Dès lors, les Allemands, contraints à la défensive, s’enterrent dans les forêts pour défendre le territoire qu’ils ont conquis pour la seconde fois.

 

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[7] L’ordre d’évacuation d’Eisenhower est arrivé une semaine plus tôt au quartier général de la 1ère armée française qui défend l’Alsace sous les ordres du général Jean de Lattre de Tassigny. Apprenant cela, le général français Philippe Leclerc, commandant l’une des divisions de de Lattre, a envoyé un message directement au général de Gaulle : « Si cet ordre est vraiment donné, nous n’avons qu’une seule chose à faire, la division tout entière doit passer en Alsace et se faire tuer sur place, jusqu’au dernier homme […] ». A sa lecture, de Gaulle a donné l’ordre à de Lattre de défendre la capitale de l’Alsace “avec ou sans l’accord du commandement américain » – la 1ère armée française étant, de plus, l’une des deux armées du 6e groupe d’armées américain du général Jacob L. Devers, de son côté opposé lui aussi au repli. L’affaire trouve son dénouement dans une réunion de crise entre de Gaulle et Eisenhower, en présence de Winston Churchill. Au cours de cette réunion, de Gaulle, soutenu par le premier ministre britannique, convainc le général américain de renoncer à son ordre. La 1ère armée française restera donc en Alsace et elle défendra Strasbourg. [Retour au texte]

 

[8] Stricto sensu, c’est déjà fait : depuis le mois d’octobre 1944, les forces soviétiques tiennent une « véranda » de quatre-vingt-dix kilomètres de large qui mord sur la frontière est de la Prusse-Orientale, mais seulement sur une profondeur d’une vingtaine de kilomètres. De même, à l’Ouest, les Américains tiennent la ville frontière d’Aix-la-Chapelle et ses environs, sur une profondeur de dix kilomètres et une largeur de vingt. [Retour au texte]

 

[9] Dans les vingt-quatre heures qui ont suivi le déclenchement du cataclysme de l’opération BARBAROSSA contre l’URSS le 22 juin 1941, Staline a doté les forces armées soviétiques de la structure décisionnelle suprême nécessaire pour coordonner l’ensemble des opérations de l’Armée rouge, la Stavka. Le mot n’est pas un acronyme car, en russe, il signifie littéralement « la tente ». [Retour au texte]

 

[10] Dans l’Armée rouge, le terme « front » possède deux sens totalement distincts l’un de l’autre. Le premier est commun à toutes les armées : la ligne le long de laquelle les force belligérantes se sont face. Le second signifie « groupe d’armées ». Les auteurs francophones lèvent l’ambiguïté en écrivant le mot avec une majuscule lorsqu’il est utilisé dans son sens organique de « groupe d’armées », et avec une minuscule dans son sens géographique de « ligne de contact ». C’est dans ses deux significations différentes que le terme est utilisé ici. [Retour au texte]

 

[11] frontovik : terme russe générique signifiant « combattant du front », souvent utilisé par abus – comme ici – pour désigner les fantassins. [Retour au texte]

 

[12] Katioucha : camion lance-roquettes sol-sol de 82 ou 132 mm multiple entré en service au premier été de la guerre germano-soviétique. Les Katiouchas, de leur vrai nom BM-8 ou BM-13, sont peu précis, roquettes obligent. Ils ne sont donc efficaces que déployés par formations entières ouvrant le feu en saturant une zone cible. La forte puissance explosive des roquettes des Katiouchas, multipliée par leur simultanéité, leur nombre, et ajoutée au sifflement sinistre qu’elles produisent, conjuguent dégâts matériels et effet psychologique ravageur. Les frontoviks ont fini par surnommer cette arme Katioucha, diminutif du prénom féminin russe Ekaterina et titre d’une chanson écrite en 1938. Devenue très populaire dans l’Armée rouge et dans toute l’Union Soviétique, elle décline les thèmes de l’amour, du romantisme, de la nature sauvage et de la douleur du sacrifice pour la terre natale. [Retour au texte]

 

 

 

Lance-roquette multiple Katioucha.

 

 

[13] A l’été 1944, la vaste tête de pont de Sandomierz (Sandomir en russe) sur la Vistule, dans le sud-est de la Pologne, était l’objectif ultime du Premier Front d’Ukraine de Koniev lors de l’opération LVOV-SANDOMIR, l’une des six grandes opérations militaires lancées par l’Armée rouge contre la Wehrmacht à l’été 1944 en même temps que la campagne de Normandie. Trois armées soviétiques sont parvenues à franchir le grand fleuve polonais, attirant sur elles un mois de féroces contre-attaques lancées par deux armées allemandes comprenant cinq divisions de panzers, mais parvenant à préserver la tête de pont. Lorsque les combats s’y sont éteints, elle mesurait, à vol d’oiseau, 90 kilomètres de large sur 40 de profondeur. La raison d’être de cette tête de pont était de créer une position de départ pour, dans le futur, lancer des opérations à travers les plaines polonaises en direction des frontières mêmes de l’Allemagne. L’heure de ces opérations a sonné. [Retour au texte]

 

[14] A la décharge de Tcherniakhovski, il faut préciser qu’au moment de son offensive malheureuse d’octobre 1944 contre la Prusse-Orientale, son Troisième Front de Biélorussie attaquait alors qu’il avait déjà dans les jambes cinq cent kilomètres d’avancée vers l’ouest à travers des espaces où les nazis n’avaient pas laissé un pont debout, pas une voie de chemin de fer ni même une poule vivante. En ce mois de janvier 1945, le groupe d’armées est à nouveau irrigué depuis l’arrière. [Retour au texte]

 

[15] La ville-forteresse de Königsberg est la capitale historique de l’ordre militaire allemand des Chevaliers teutoniques qui, au XIIIe siècle déjà, a tenté d’envahir les principautés russes. Il a fallu deux ans de combats au prince de Novgorod Alexandre Nevski pour parvenir à les arrêter à la bataille du lac Peïpous, mise en scène en 1938 par le réalisateur Sergueï Eisenstein dans son monument de l’histoire du cinéma mondial, Alexandre Nevski. Trois ans avant l’éclatement de l’opération BARBAROSSA en 1941, des dizaines de millions de spectateurs soviétiques avaient vu au cinéma les images de la lutte contre ces guerriers germaniques aux croix noires. Cinq siècles après Alexandre Nevski, c’est encore à Königsberg qu’a été couronné le roi de Prusse Frédéric II le Grand, souvent perçu comme le père du militarisme prussien. [Retour au texte]

 

[16] Pendant les années de lutte du parti nazi pour l’accession au pouvoir, Hitler a divisé l’Allemagne en régions appelées Gaue (Gau au singulier), chacune dirigée par un Gauleiter, sorte de tentacule locale du Führer. En 1933, à la prise de pouvoir des nazis, la fonction de responsable politique régional des Gauleitern s’est doublée de la charge de gouverneur administratif. La Prusse-Orientale est l’une de ces régions. [Retour au texte]

 

[17] Le Premier Front de Biélorussie passe à l’offensive à partir de deux têtes de pont qu’il a établies sur la rive occidentale de la Vistule au milieu de l’été 1944, au cours de l’opération KOVEL-LUBLIN. Les têtes de pont de Magnuszew au nord et Pulawy au sud sont distantes l’une de l’autre de soixante kilomètres, larges chacune d’une vingtaine et profonde d’une quinzaine. En longueur, le front de la tête de pont de Magnuszew fait une quarantaine de kilomètres et celui de Pulawy une cinquantaine. Les deux têtes de pont sont nettement moins vastes que leur homologue géante de Sandomierz, conquise de haute lutte, plus au sud, par le Premier Front d’Ukraine et qui, à elle seule, offre à Ivan Koniev un front d’attaque de près de cent cinquante kilomètres de longueur. [Retour au texte]

 

[18] En une seule journée de bataille aérienne, la chasse de jour allemande perd plus de cent pilotes tués et plus de trente blessés pour, certes, une trentaine d’appareils américains abattus, ce qui n’est tout de même pas négligeable. Côté allemand, seuls les « vieux loups de mer », qui continuent de mener la vie dure à tous leurs adversaires, tirent leur épingle du jeu. Parmi eux, le commandant Anton Hackl, qui hante les cieux européens depuis la Drôle de guerre de 1939 et qui, ce jour-là, remporte sa 175e victoire aérienne en abattant un chasseur P-51 Mustang américain. [Retour au texte]

 

[19] Rappelons ici que ce succès de Joukov doit être également porté au crédit du niveau de sophistication de la planification opérationnelle  que la Stavka a menée à l’automne 1944 dans la perspective des grandes offensives de l’hiver contre les groupes d’armées Centre et A allemands. Le commandement suprême soviétique, fidèle aux habitudes qu’il a prises au cours de la guerre, a raisonné à l’échelle de la totalité des plus de deux mille kilomètres de front qui font face aux forces de l’Axe, tout en intégrant l’ensemble des  paramètres stratégiques, y compris économiques, et en particulier la problématique pétrolière du IIIe Reich.

 

Gardant à l’esprit que le but ultime des opérations est l’Allemagne hitlérienne elle-même, la Stavka élabore, en cet automne 1944, une progression en direction au cœur même du territoire de cette dernière. L’Oder devient donc l’objectif cardinal de VISTULE-ODER et de son flanc-garde, l’opération PRUSSE-ORIENTALE conçue pour anticiper la menace que fera peser le groupe d’armées Nord allemand sur le flanc droit de Joukov. Or, les stratèges soviétiques calculent que le schwerpunkt  – nœud gordien – des nazis se situe plutôt en Hongrie, le seul grand allié qui reste au Reich depuis que l’Italie, la Roumanie puis la Finlande ont fait tour à tour défaut, et son seul réservoir d’hydrocarbures depuis que la Wehrmacht a échoué à s’emparer du pétrole du Caucase en 1942 et que le Troisième Front d’Ukraine s’est saisi des gisements d’or noir roumains à l’été 1944.

 

Au sein de cet échiquier, c’est le front hongrois que les stratèges de la Stavka repèrent comme levier susceptible d’inciter la Wehrmacht à y diriger des forces au préjudice – espère-t-on – de la Prusse, voire de la Pologne, et donc au bénéfice de VISTULE-ODER ou de PRUSSE-ORIENTALE. Le commandement soviétique suprême prend donc la décision d’une opération contre le groupe d’armées Sud allemand dans les plaines de Hongrie.

 

Or, début octobre 1944, le Maréchal ukrainien Rodion Malinovski et son Deuxième Front d’Ukraine sont en train de descendre les pentes boisées des Carpates pour croiser le fer à leur pied, à l’orée de la Transylvanie hongroise, après avoir contribué à repousser le groupe d’armées Sud-Ukraine allemand depuis la frontière moldave – et à abattre la Roumanie, troisième puissance militaire de l’Axe. Le lac Balaton et son or noir sont alors à deux cents kilomètres des fusils des frontoviks de Malinosvki ; la capitale hongroise à cent soixante-dix. C’est donc au Deuxième Front d’Ukraine qu’échoit la mission d’entreprendre l’opération BUDAPEST, dans la double direction de la capitale et du lac Balaton.

 

 

 Le Maréchal Rodion Malinovski. Engagé volontaire à l’âge de quinze ans pendant

la Première Guerre Mondiale, il a ensuite servi dans l’armée française où il a été décoré de la Croix de Guerre. Après avoir participé à la guerre civile russe, il a effectué de solides études  militaires avant de prendre part à la guerre d’Espagne. Miraculé des purges de Staline de 1938, il est sur le front depuis le premier jour de la Grande Guerre patriotique. A l’automne 1944, ce vétéran de Stalingrad  mène le Deuxième Front d’Ukraine d’une main avisée.

 

 

Le 29 octobre, Malinovski lance l’offensive contre le désormais groupe d’armées Sud tout court (ex- Sud-Ukraine), qui englobe trois armées hongroises et deux allemandes. Le mois suivant, il est rejoint, à sa gauche, par le Troisième Front d’Ukraine du Maréchal Fiodor Tolboukhine qui, entre-temps, a repoussé le groupe d’armées F du général allemand Maximilian von Weichs jusqu’à la frontière entre la Croatie, allié des nazis modeste mais motivé, et la Hongrie. Les soldats de von Weichs laissent derrière eux, en Yougoslavie, les cadavres de centaines de milliers de civils. Le 4 décembre, les frontoviks de Tolboukhine parviennent en vue de la rive orientale du lac Balaton et, le 23, Malinovski piège dans la capitale hongroise soixante-dix mille soldats allemands et hongrois. Vingt-quatre heures plus tard, l’état major suprême de la Wehrmacht donne l’ordre de diriger vers la Hongrie un puissant corps de panzers, jusque-là stationné… dans le secteur de Varsovie, face à la future opération VISTULE-ODER.

 

Le calcul de la Stavka s’est avéré le bon. Trois semaines plus tard, en ce 15 janvier 1945, ce corps blindé aimanté vers Budapest fait défaut au groupe d’armées A au moment où les chars de Joukov percent derrière les lignes de celui-ci .

 

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[20] De son vrai nom prussien Pillkalen, rebaptisée Schlossberg par les nazis. Aujourd’hui, Krasnozamensk dans l’enclave russe de Kaliningrad. [Retour au texte]

 

[21] Chelmno est le seul camp d’extermination érigé dans le Wartheland, la région germanisée de la Pologne. Il a surgi de terre en même temps que les trois camps d’extermination construits en 1941 dans la perspective de l’Aktion Reinhard – l’extermination de tous les Juifs du Gouvernement général. Pour des raisons internes au fonctionnement de la machinerie nazie, il a servi spécifiquement à assassiner une partie des Juifs du Wartheland – une centaine de milliers – avant d’être désactivé. En 1944, il a été réactivé pour tuer cette fois les Juifs du ghetto de Lodz, éliminés tardivement pour raison économique, Lodz étant une agglomération industrielle. [Retour au texte]

 

[22] A ce moment-là, le réseau de bases sous-marines est ce que le Reich possède encore de plus vaste. Il s’étend de la France (La Rochelle et Saint-Nazaire qui constituent des poches lourdement défendues) à la Norvège (Bergen, Trondheim, Narvik) en passant par tout le glacis qui s’étend sur mille kilomètres depuis Wilhelmshaven, sur la mer du Nord à cent kilomètres des Pays-Bas, jusqu’à Libau (aujourd’hui Liepaja), en Lettonie. [Retour au texte]

 

[23] Aujourd’hui Wroclaw, en Pologne. [Retour au texte]

 

[24] Aujourd’hui Goussev, enclave de Kaliningrad, Fédération de Russie. [Retour au texte]

 

[25] Aujourd’hui Poznan, en Pologne. [Retour au texte]

 

[26] Aujourd’hui respectivement Gdansk et Gdynia, en Pologne. [Retour au texte]

 

[27] Aujourd’hui Klaïpeda, en Lituanie. [Retour au texte]

 

[28] Pillau, aujourd’hui Baltiisk dans l’enclave de Kaliningrad ; Hel, aujourd’hui Hela en Pologne. [Retour au texte]

 

 

Pierre Bacara

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Sources principales :

 

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CLOSTERMANN, Pierre : Le Grand Cirque, Paris, 2001

 

CHURCHILL, Winston : Mémoires de guerre 1941-1945, Paris, 2010

 

FACON, Patrick : Göring, âme damnée de la Luftwaffe, Le fana de l’aviation hors-série décembre 2011

 

FACON, Patrick : Hiver 1944-1945, le tournant décisif des Ardennes, Le fana de l’aviation janvier 2015

 

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