Senior frontovik,
Maria Mikhaïlovna ROKHLINA
« Je me suis à nouveau portée volontaire, cette fois pour faire traverser le Dniepr à un adjudant-chef gravement blessé, sur un esquif de fortune. Lui et moi avons été emportés par le courant, qui a fini par briser les rames. Il m’a fallu ramer avec mes mains dans l’eau glacée jusqu’à ce que je ne les sente même plus. Lui et moi avons malgré tout atteint la rive orientale, à moitié inconscients. Là, des soldats nous ont récupérés tous les deux. Moi, on m’a retapée à l’alcool à 70 degrés. Ensuite, je ne me souviens même plus combien de temps j’ai dormi. Quand je suis rentrée à mon régiment, j’avais oublié d’où je venais et j’ai fait l’objet d’une sanction. Quarante ans après, j’ai reçu un beau jour une lettre de l’adjudant-chef Cheptoun. C’est avec lui que j’avais traversé le Dniepr. Il était en vie et en bonne santé. Après la guerre, il n’avait jamais cessé de me rechercher pour me remercier. Après avoir lu sa lettre, j’ai pleuré toute la nuit ».
- Maria Mikhaïlovna Rokhlina
Maria Mikhaïlovna, à gauche sergent-instructeur à la 95e division de la Garde, à droite chez elle à Podolsk le 5 juillet 2019 - le jour anniversaire de la bataille de Koursk
Maria Mikhaïlovna est une Senior de la Grande Guerre patriotique. Elle a été de tous les combats depuis l’invasion nazie de 1941 jusqu’à la défaite du Troisième Reich, toujours volontaire, même pour les tâches les plus suicidaires. D’abord infirmière puis instructrice sanitaire, elle s’est trouvée aux premières loges pour nourrir son style dur et cru qui conjugue une foi inentamée en le communisme et une narration sans concession des événements. Elle est aujourd’hui présidente de l’association des vétérans de la 95e division d’infanterie de la garde.
Maria Mikhaïlovna est née en Ukraine et c’est là, à Kiev, que dès l’été 1941 la guerre se saisit d’elle lorsque la Wehrmacht approche dangereusement de la ville. L’adolescente de dix-sept ans fera partie des rares survivants du carnage de la bataille de Kiev du mois de septembre, l’une des défaites les plus écrasantes de l’Armée rouge de toute la Seconde Guerre mondiale, dont Maria réchappera après avoir été blessée au genou par un éclat de mortier. Ce n’est qu’après une pause qu’elle rejoindra officiellement l’Armée rouge.
A l’été 1942, la voici instructrice sanitaire, emportée dans la spectaculaire offensive d’Hitler en direction du Caucase (carte), du Don et de la Volga et dans la retraite soviétique qui en découle. Lors du repli à travers le Don matraqué par les bombardiers de la Luftwaffe, Maria Mikhaïlovna est frappée par une explosion qui la rend temporairement sourde. La retraite se poursuit jusqu’à Stalingrad où elle est alors prise sous les raids aériens de terreur du mois d’août, au cours desquels, au milieu des gens brûlés vifs, elle voit bouillir l’eau de Volga. Maria vivra toute la bataille, les mains dans le « sang qui gèle dès qu’il coule des blessures », tutoyant la mort, faisant franchir les blocs de glaces à un blessé à travers le fleuve gelé, le plus large d’Europe. Elle finira Stalingrad au milieu d’un entassement de cadavres gelés, considérée comme morte – à l’âge de dix-huit ans – puis sauvée in extremis par un soldat qu’il l’a vue légèrement bouger. Elle ne rejoindra son unité, la 95e division d’infanterie de la Garde, qu’après quatre mois d’hôpital, pour affronter sa prochaine épreuve : la plus grande bataille de chars de l’histoire, à Koursk, en juillet 1943. Cet épisode fait l’objet du court extrait ci-dessus, qui donne un avant-goût de ce qui attend le lecteur lors de la diffusion prochaine de son témoignage intégral.
Après Koursk, Maria participe, à l’été et à l’automne 1943, au puissant mouvement de l’Armée rouge en direction de son Ukraine natale et du fleuve Dniepr. Au cours de l’hiver et de l’opération KIROVOGRAD à travers le fleuve, une explosion la projette contre un mur et la renvoie à l’hôpital pour quatre nouveaux mois, à nouveau temporairement sourde, et cette fois-ci temporairement aveugle. A sa sortie au printemps 1944, elle rattrape sa 95e division de la Grade sur le front de Moldavie où, après y avoir survécu à des combats au corps à corps contre la Wehrmacht, elle prend part aux batailles titanesques de l’été 1944 jusqu’à la Vistule. Ceux-ci s’achèvent sur l’épisode de la bataille de la tête de pont Sandomierz, un Verdun de la Seconde Guerre mondiale. De là, elle marche sur le Reich où elle épouse – militairement – l’homme de sa vie, le lieutenant Rokhline, qu’elle épousera pour de bon après la fin des combats, au palais du dernier empereur d’Autriche-Hongrie, François-Joseph Ier.
Pierre Bacara