De BAGRATION à la Courlande :
Vladimir Panienko, juillet 1944 - août 1945
L’itinéraire de la deuxième campagne militaire de Vladimir Panienko, vétéran meurtri et discret de Stalingrad, se confond avec la compétition de karaté à rebondissements que le volet nord de l’opération BAGRATION inaugure à l’été 1944. A partir de BAGRATION, le haut commandement soviétique est habité par l’idée fixe de tout faire pour détacher le groupe d’armées Nord allemand du groupe d’armées Centre, dans le but d’isoler le groupe d'armées Nord puis de le détruire.
Dans les dernières heures du mois de juillet 1944 (au moment où, en Normandie, les Alliés percent enfin depuis leur tête de pont dans laquelle ils étaient comprimés depuis près de deux mois), c’est le très dynamique général arménien Ivan Bagramian, commandant le 1er Front de la Baltique, qui donne le coup d’envoi du feuilleton balte. Avec l’audacieuse opération CHIAOULIAÏ menée tambour battant du 10 au 29 juillet, il remporte un succès inaugural en atteignant la côte balte, séparant ainsi l’un de l’autre les deux groupes d’armées de la Wehrmacht. Las ! Au mois d’août, le général allemand Hyazinth Strachwitz arrache la main que Bagramian agrippait à la Baltique : l’opération DOPPELKOPF rouvre un couloir entre les deux groupes d’armées que le général arménien avait séparés.
Le général Ivan Bagramian, heureux mariage d’audace et de savoir-faire, commandant du 1er Front de la Baltique depuis l’automne 1943.
En septembre 1944, l’Armée rouge décide cette fois de voir grand et lance l’opération RIGA, qui doit à la fois refermer ce diable de couloir de Riga que DOPPELKOPF avait ouvert et broyer le groupe d’armées Nord ainsi (ré)-isolé ; mais c’est sans compter le nouveau commandant du groupe d’armées Nord, le général Ferdinand Schörner qui, sous ses dehors de nazi granitique, dissimule un indiscutable talent militaire. Schörner déclenche l’opération ASTER, qui réussit, en une course folle, à extraire d’Estonie et de Lettonie orientale tout le groupe d’armées Nord pour le mettre à l’abri en Lettonie occidentale et en Lituanie..
Le général Ferdinand Schörner, brutal mais efficace commandant du groupe d'armées Nord
En octobre, Bagramian remet son ouvrage sur le métier et lance l’opération MEMEL, dirigée cette fois plein ouest. Deuxième succès : le groupe d’armées Nord est enfin isolé pour de bon, en Courlande, la péninsule de Lettonie occidentale qui s’enfonce dans la mer Baltique. Encore faut-il détruire ce groupe d’armées désormais assiégé.
L’armée rouge va dès lors lancer pas moins de six offensives successives contre la poche de Courlande. Le puissant groupe d’armées de Schörner, comprimé dans une péninsule cernée - ou plutôt protégée - par la mer de deux côtés sur trois, oppose une résistance compacte, nourrie logistiquement par la marine d’Hitler qui conserve la maîtrise de la mer Baltique face à une flotte soviétique toujours en phase de croissance et face à une aviation rouge mal équipée pour la guerre au-dessus de la mer. Tous les sacrifices soviétiques pour en finir avec la poche seront vains. Tout au long du siège de la Courlande, le groupe d’armées Nord jouera un double rôle puisque, non content de fixer deux groupes d’armées soviétiques, il sert à répétition de réserve d’unités au profit des autres fronts allemands à l’Est.
Invaincu jusqu’à la capitulation nazie, le groupe d’armées Nord – rebaptisé groupe d’armées Courlande en janvier 1945, aura, au bout du compte, remporté un victoire stratégique qui passera en-dessous des radars de l’Histoire.
Pierre Bacara