Stalingrad à dix-sept ans,

Vladimir Petrovitch PANIENKO

 

« … Des batailles effrayantes… »

 - Vladimir Petrovitch PANIENKO

 

 

Vladimir Petrovitch à gauche  à Volgograd le 20 février 2020, à droite en Courlande en mai 1945.

 

 

Vladimir Petrovitch n’est pas un témoin banal. Le contraste est irréel entre la douceur infinie de cet homme et l’âpreté de sa jeunesse, ponctuée par une enfance dramatique puis par la guerre la plus meurtrière de l’histoire. Ses souvenirs alternent entre des éclairs qui ont gravé sa mémoire comme autant de tableaux de maîtres, et des périodes confuses qu’il élude en parlant de « batailles effroyables » et où les images fugitives se télescopent. Un mot résume la vie de Vladimir Petrovitch : Stalingrad ; il est né à Stalingrad, il a connu son baptême du feu à Stalingrad et il a servi tout au long de la bataille de Stalingrad. Après la guerre, ayant embrassé une carrière d’officier des forces de sécurité, il n’a eu de cesse de retourner à Stalingrad, devenue entre-temps Volgograd, où il s’est enfin à nouveau établi en 1963. Depuis, il n’en est plus jamais reparti.

 

 

 

Barbe-bleue

 

Avec Vladimir, la vie n’a pas pris de gants. A l’âge de quatre ans, il perd sa mère. Son père se remarie, avec une marâtre qui va se révéler aussi diabolique qu’un personnage d’un conte de Perrault. Le père de Vadimir en perd la raison. Arrêté, il disparaît à jamais. A neuf ans, Vladimir est orphelin. Avec ses frères et sa sœur, il est recueilli par un orphelinat de la ville bucolique de Serafimovitch [1], située sur les rives du fleuve Don, à deux cents kilomètres de Stalingrad.

 

Ils en ressortent tous cinq années plus tard pour repartir pour Stalingrad, où ils sont pris en charge comme élèves et apprentis dans une usine de transformation agro-alimentaire de viande. Celle-ci leur fournit tout à la fois logement, soins, éducation et apprentissage professionnel. Vladimir, désormais jeune adolescent de quatorze ans, peu réceptif au métier de boucher, devient finalement apprenti tourneur. Deux ans plus tard, la Grande Guerre patriotique éclate. Le front est alors à plus de mille kilomètres de son « usine-foyer » mais Vladimir est tout de même réquisitionné pour creuser des lignes de défense à l’ouest de la ville. Il troque le tour pour la pelle et la pioche.

 

Treize mois plus tard, en juillet 1942, Stalingrad  est placée en état d’urgence : l’armée d’Hitler n’est plus qu’à trois cents kilomètres. Fin août, l’Armée rouge vient enfin occuper les ouvrages défensifs... et voilà Vladimir « recruté » dans une compagnie de transmissions, malgré ses dix-sept ans, comme messager et garçon à tout faire.

 

 

23 août 1942 : Luftwaffe

 

La journée la plus mémorable de ce mois d’août sera sans équivoque possible celle du 23. Cet après-midi-là, Vladimir se trouve dans Stalingrad qui ploie sous le soleil impitoyable de ce brûlant été 1942. Soudain, aux environs de 18:00, l’air s’emplit de la résonance lente mais mordante des sirènes d’alerte anti-aériennes. Au-dessus de la grande cité, le ciel bleu immaculé vibre d’un grondement lugubre : celui de centaines de bombardiers de la Luftwaffe qui envahissent le ciel. Les bombes déchirent toute la ville dans un tonnerre assourdissant. Les immeubles s’écroulent - hôpitaux compris. Les grandes citernes de pétrole et d’essence volent en morceaux, libérant des tonnes d’hydrocarbures qui s’écoulent en rivières de feu jusqu’aux quais de la Volga, puis dans les eaux mêmes du fleuve. Les navires  s’embrasent. Dans les rues, dans les avenues, le goudron fond, fume, les poteaux télégraphiques s’enflamment comme des allumettes. Ces minutes d’enfer vont s’éterniser une heure durant, jusqu’au coucher de soleil… Ce soir-là, les vingt-cinq kilomètres de l’agglomération de Stalingrad sont en flammes : la ville abritait un très grand nombre de constructions en bois… L’air, déjà chaud avant le bombardement, est devenu irrespirable. Les canalisations sont éventrées, les câbles déchiquetés, il n’y a plus d’eau douce, plus d’électricité, plus de téléphone. Vladimir commente : « ça été un baptême du feu terrifiant »…

 

Le lendemain, les bombardiers d’Hitler reviennent au-dessus de la ville et le surlendemain, ils reviennent encore. Le calvaire durera six jours d’affilée. Il sonnera le coup d’envoi du chemin de croix de la ville de Stalingrad.

 

 

  

Les citernes d’hydrocarbures de Stalingrad photographiées entre deux bombardements.

  

 

Stalingrad, l’ordalie

 

Dans les tout derniers jours d’août, les défenses des approches occidentales de la ville sont la cible de l’une des ces redoutables manœuvres d’encerclement dont les panzers sont coutumiers. Vladimir et ses nouveaux camarades parviennent pourtant à y échapper et à se joindre aux cohortes qui refluent en désordre vers la ville. Au même moment, Hitler donne le « la » de la bataille : il faut « éliminer tous les habitants mâles de Stalingrad » et déporter toutes les femmes. La Wehrmacht attaque la ville le 4.

 

Le 7 septembre, elle n’est plus qu’à dix kilomètres des faubourgs. Soixante-douze heures plus tard, au sud de la ville, elle borde la Volga – au nord, elle l’avait déjà fait dix jours plus tôt. Dans la nuit du 12 au 13 septembre 1942, un général soviétique inconnu franchit la Volga d’est en ouest et prend la tête de la 62e armée qui défend la ville. Son nom : Vassili Tchouïkov. Il était temps car à huit heures du matin, les ruines de Stalingrad, la population de la ville et ses défenseurs sont écrasés par l’artillerie - et une nouvelle fois par les bombardiers allemands ; la Wehrmacht lance l’assaut contre l’agglomération même. Les défenseurs sont hachés. A la tombée du jour, les Allemands sont à cinq kilomètres du coeur de la ville. Dans la nuit, Tchouïkov lance une contre-attaque ; il échoue. A l’aube du 14, les soldats du Reich reprennent leur assaut. Stalingrad va tomber.

 

Au cours de ces heures tendues, la sœur de Vladimir habite avec leur grand-mère au quartier du Mont Dar, pas loin de la gare numéro 2 et à… trois quarts d’heure de marche seulement des lignes de la 24e division de panzers. Au soir du 14, les panzers sont devant la gare. Entre-temps les soldats de la division ont trouvé la maison de la sœur et de la grand-mère de Vladimir, qui ont vu de leurs propres yeux les hommes de la Wehrmacht. Le premier contact a été apocalyptique.

 

 

 

 

La 24e division de panzers photographiée approchant de Stalingrad.

 

Après la disparition de sa sœur et de sa grand-mère, Vladimir sert en première ligne – tout en demeurant provisoirement « illégal » dans l’Armée rouge malgré son dix-huitième anniversaire, le 10 octobre, quelques jours à peine avant que n’éclate la bataille du quartier des usines, la pire de toute la bataille de Stalingrad. Vladimir a été pris sous l’aile du commissaire politique de sa compagnie, qui va tenter de le mettre à l’abri de l’autre côté de la Volga ; mais la Luftwaffe veille toujours et l’aventure échoue. Vladimir retourne dans la bataille. Le 3 janvier, il devient officiellement un soldat à part entière de la 62e armée de Tchouïkov. Il y servira jusqu’à l’ultime jour de la bataille.

 

C’est toute cette époque, de son enfance jusqu’à la capitulation de la 6e armée allemande, que Vladimir raconte dans le premier chapitre que High Flight publie de son entretien.

 

 

Sous-lieutenant Panienko

 

Le 2 février 1943, après plus de quatre mois d’enfer, un silence blanc retombe enfin sur les décombres de la ville. La bataille de Stalingrad est terminée et Vladimir, du haut de ses dix-huit ans, en est désormais un vétéran. A l’arrivée du printemps, son commissaire politique  - toujours lui – l’oriente vers l’école des mitrailleurs de la ville d’Engels, à quatre cents kilomètres au nord de ville, pour qu’il y soit intégré à un cours d’officier. Entre-temps, l’Armée rouge a repoussé la Wehrmacht de quatre cents kilomètres vers l’ouest en deux mois. Vladimir va rester un an à Engels.

 

Il en sort sous-lieutenant en avril 1944. Entre-temps, la roue de l’histoire a tourné. Le IIIReich a perdu l’initiative, l’Armée rouge a libéré Léningrad du siège de neuf cent jours qui avait tué un million de ses habitants ; les soldats soviétiques ont encore repoussé vers l’ouest le groupe d’armées Sud allemand et libéré une très grande partie de l’Ukraine ; mais, plus au nord, en Biélorussie, ils se sont cassé les dents sur le groupe d’armées Centre, et la revanche de cette bataille se trouve être la prochaine ambition du haut commandement soviétique. Ce sera l’opération BAGRATION, qui suivra de dix-sept jours le débarquement en Normandie et qui, sous une chaleur caniculaire, sera la plus dévastatrice opération militaire terrestre lancée depuis le début de la Seconde Guerre mondiale, mais aussi plus grande défaite militaire de toute l’histoire de l’Allemagne nazie [2].

 

 

BAGRATION, revanche en clair-obscur

 

C’est à dater de ces événements que les souvenirs de Vladimir perdent en précision. Au printemps 1944, le jeune officier prend le commandement d’une section de mitrailleuses de la 4e armée de choc dans la partie nord du front biélorusse, sur les lignes de départ de BAGRATION qui est encore en cours de préparation. La 4e armée de choc fait face à la ville de Polotsk, l’une des plus anciennes cités du monde slave, pour l’heure occupée depuis 1941. Polotsk, nœud ferroviaire stratégique érigé par Hitler au rang de forteresse à conserver à tout prix, va tomber fin juin, aux premiers jours de BAGRATION, au cours d’une bataille aussi rapide que brutale [3]. Elle est la première de ces batailles qui ne laisseront à Vladimir qu’un souvenir fugitif. Dans des circonstances que nous ignorons, il est alors transféré dans la division dans laquelle il va passer le plus gros de sa vie au front : la 179e division d’infanterie de la 43e armée, qui vient à peine d’être gratifiée du titre honorifique de Vitebskaïa pour sa participation aux combats dantesques de la libération de la ville biélorusse de Vitebsk, patrie du mondialement célèbre peintre des années folles Marc Chagall mais surtout, pour l’heure, l’un des quatre objectifs géographiques majeurs de BAGRATION.

 

 

 

Quelques jours à peine après l’arrivée de Vladimir dans sa nouvelle division, le brillant chef de l’état-major général de l’Armée rouge, le général Alexandre Vassilievski, imagine l’opération CHIAOULIAÏ : il s’agit de lancer le gros du 1er Front de la Baltique du général arménien Ivan Bagramian, auquel appartient la 43e armée, dans une chevauchée de deux cents kilomètres vers l’ouest jusqu’à la ville lituanienne de Šiauliai (prononcer… « Chiaouliaï »). Le coup d’épée tranchera entre le groupe d’armées Nord allemand, qui occupe les pays Baltes, et le groupe d’armées Centre qui contrôle encore la moitié occidentale de la Biélorussie. La 179e division de Vladimir est donc emportée dans cette épopée pendant laquelle, au même moment, deux mille kilomètres plus à l’ouest, en Normandie, les Américains lancent l’offensive qui, enfin, leur permet de s’affranchir de la tête de pont dans laquelle la Wehrmacht confinait les Alliés depuis bientôt deux mois ; et pendant laquelle, six cents kilomètres au sud de Šiauliai, l’Armée rouge fonce en direction de la Vistule à travers un autre groupe d’armées allemand. Le 28 juillet, Bagramian a gagné le pari de Vassilievski : il entre dans Šiauliai, où les derniers habitants juifs, enfermés dans le camp de concentration local, ont été expédiés in extremis vers Dachau et Stutthof… A minuit, Staline ordonne à Bagramian un virage à 90 degrés vers le nord, en direction du golfe de Riga, encore cent vingt kilomètres plus loin. Le général arménien lance alors un raid de cent chars qui, dans une cavalcade débridée, avalent la distance en moins de vingt-quatre heures et roulent sur le sable au bord de la mer, piégeant tout le groupe d’armées Nord allemand en Estonie et en Lettonie. En parallèle, il fait avancer ses armées dans la même direction, dont la 43e. Ce fracas torride, effréné, ne laissera dans la mémoire de Vladimir que les combats pour la ville lettonne de Biržai (prononcer « Birjaï ») qu’occupait le XXXXIIIe corps allemand et que la 43e armée libère le 30 juillet. L’opération BAGRATION est terminée. Le groupe d’armées Centre allemand, pulvérisé, a été repoussé de sept cents kilomètres vers l’ouest et décroché du groupe d’armées Nord. Les opérations se calment. Vladimir connaît le premier répit de sa jeune carrière d’officier.

 

  

 

 

 Biržai en été. C’est cette élégante localité qui a été le théâtre des seuls combats que le vétéran de Stalingrad qu’est Vladimir Petrovitch a retenus de BAGRATION (droits : région de Biržai) .

  

 

Opération RIGA, le piège de Bagramian

 

Les affaires reprennent six semaines plus tard avec l’éclatement de l’opération RIGA – trois semaines après la libération de Paris. C’est qu’entre-temps, les Allemands ont contre-attaqué le bras que Bagramian avait tendu fin juillet jusqu’à la côte balte, et ils en ont coupé la main, rouvrant ainsi un couloir de trente kilomètres de large bord de la mer, reconnectant les deux gros morceaux de la Wehrmacht dans les pays Baltes. En conséquence, le haut commandement soviétique a résolu d’enfermer une seconde fois le même ennemi ; mais cette fois, il s’agira de fermer la herse à Riga, capitale de la Lettonie - tout en attaquant en même temps le groupe d’armées Nord depuis l’est, en Estonie et en Lettonie, pour l’écraser une fois cerné. La 179e division repart au combat. Là encore, les souvenirs de Vladimir surgissent par éclairs. De RIGA, il se souvient d’une unique bataille : celle de la ville lettonne de Bauska, au tout premier jour de l’opération. Bauska, tenue par le 1er corps allemand, était le premier obstacle sur la route de la 43e armée en direction de Riga. A la fin du mois, l’opération est cette fois une demi-victoire - ou un demi-échec : en cinq jours seulement, tout ce que le groupe d’armées Nord comptait comme soldats à l’est de la capitale lettonne a réussi à filer vers l’ouest à travers la chatière de Riga – qui a tenu. Gros lot de consolation, il n’y a plus un seul soldat du Reich à l’est de la ville.

 

 

Opération MEMEL, la deuxième manche

 

Au début du mois d’octobre 1944, Moscou, encore frustré, relance l’affaire balte. Ce sera cette fois l’opération MEMEL, qui doit ratisser encore plus large, en tranchant cette fois en ligne droite vers l’ouest, à travers la Lituanie, jusqu’à la ville portuaire de Memel sur la Baltique [4]. La 43e armée est à nouveau sollicitée : Bagramian la fait roquer de cent cinquante kilomètres vers le sud-ouest jusqu’en Lituanie et l’opération MEMEL commence le 5 octobre. Bien qu’elle soit celle qui verra le vétéran de Stalingrad atteindre ses vingt ans et être décoré de l’ordre de l’étoile rouge, elle n’apparaît, elle aussi, qu’au travers de « flashs » éphémères. Des images floues ressurgissent de la bataille de Kretinga, à vingt-cinq kilomètres au nord-est de Memel [5]. Cette ville elle-même ne tombera pas mais ce sera là l’unique ombre au tableau de MEMEL qui, à la différence de RIGA, est un succès total : alors qu’à l’Ouest, les Alliés piétinent à nouveau, de la Belgique à la Lorraine cette fois, à l’Est, le groupe d’armées Nord allemand est maintenant réellement cadenassé tout entier en Lettonie, dans la poche de Courlande et – provisoirement - à Riga, son verrou oriental qui finit par tomber enfin le 20 octobre. L’Armée rouge, après avoir écrasé le groupe d’armées Centre à l’été, vient de sortir tout le groupe d’armées Nord de la course sur la route qui mène au Reich. Le calme retombe à nouveau sur la 179e division pendant que les combats éclatent, plus au nord, contre la poche de Courlande, et aussi au sud-ouest contre la frontière prussienne. En janvier 1945, tandis qu’à l’Ouest, les Alliés sont toujours bloqués en Belgique et en Alsace, l’Armée rouge lance deux offensives géantes dans le style de BAGRATION en direction de la Prusse-Orientale et du fleuve Oder qui barre le chemin de Berlin, mais Vladimir, lui, reste l’arme au pied devant Memel, toujours assiégée et que l’ennemi ravitaille par la mer.

 

 

Courlande, le dernier acte

 

Cette tranquillité, méritée de haute lutte, dure jusqu’au mois de février. Bagramian tire alors la 179e division de son repos hivernal pour envoyer tout le corps d’armée auquel elle appartient quatre-vingts kilomètres au nord-est, au beau milieu du Front de Courlande. De l’autre côté des lignes, le groupe d’armées Courlande – nouveau nom du groupe d’armées Nord depuis le 25 janvier - est farouchement retranché dans sa poche grande comme l’ancienne région française du Nord-Pas-de-Calais. Depuis le mois d’octobre, les 1er et 2e Fronts de la Baltique ont tenté quatre fois, en vain,  d’en percer le front, mais depuis que la Wehrmacht a été repoussée jusqu’à la Prusse, le front balte n’est plus prioritaire. Les moyens y manquent et les armées soviétiques n’ont plus les muscles pour briser les défenses de divisions allemandes compressées dans la poche. L’opération PRIÉKOULIÉ, fin février, sera la cinquième tentative de percée soviétique. Elle parviendra – péniblement - à percer les inexpugnables lignes allemandes mais, faute de moyens d’exploitation, jettera le gant à la fin du mois. Dans cette opération, la 179e division se distingue mais Vladimir n’en dit pas un mot…

 

 

 

 

 

La Courlande en hiver (droits Maris Rimenis)

 

 

Après PRIÉKOULIÉ, le calme retombe à nouveau. Vladimir quitte alors sa vieille 179e division pour intégrer une division voisine fraîchement arrivée en Courlande, la 344e.  De là, c’est en en spectateur à distance que Vladimir assistera, fin mars, à la sixième opération COURLANDE, qui sera un échec mouvementé, au moment où, sept cents kilomètres au sud-ouest, l’Armée rouge est sur le fleuve Oder, à seulement soixante kilomètres de la capitale du Reich ! En Courlande, il n’y aura plus d’autre tentative de percer le front allemand. Le 16 avril, après qu’à l’Ouest, les Américains et les Britanniques aient franchi le Rhin pour encercler et conquérir la vallée de la Ruhr, le principal poumon industriel du Reich, l’Armée rouge lance l’opération BERLIN qui doit porter l’estocade à l’Allemagne nazie. Le 24, la capitale du IIIe Reich est encerclée. Le 30 vers 15:00 heure de Berlin, Hitler se tire une balle de pistolet dans la tempe. Le 8 mai à 23:01 heure de Berlin (9 mai à 00:01 heure de Moscou), la Wehrmacht signe son acte de capitulation finale. En Courlande, à partir du 10, les forces soviétiques avancent à nouveau, mais cette fois face à des divisions allemandes qui commencent à rendre les armes.

 

C’est à partir de la que la mémoire de Vladimir retrouve sa précision, et paradoxalement sur des événements peu connus et effacés des manuels scolaires. En effet, si l’on en croit le Vladimir, la capitulation de l’occupant nazi en Courlande n’y suscite pas un enthousiasme unanime et le vétéran de Stalingrad va plonger, jusqu’à la fin de l’été, dans un univers qui, cette fois, va lui laisser des souvenirs très nets qu’il racontera dans un prochain chapitre de son entretien.

 

Enfin, après cet ultime baroud, Vladimir sera démobilisé au bout de trois épuisantes années de guerre dont une partie restera marqués du sceau du secret. Il se lancera dans une carrière d’officier des forces de sécurité en Sibérie mais, pendant de longues années, son âme toute entière restera, encore et toujours, tournée vers Stalingrad où, en 1963, il finira par s’installer.

 

Depuis, il n’en est plus jamais reparti.

 

 

Pierre Bacara

 

 

[1] Quelques années plus tard, cette charmante localité sortira spectaculairement de l’anonymat lorsque, à partir de la tête de pont sur le Don qui porte son nom, s’élancera le tentacule nord de l’opération URANUS qui encerclera Stalingrad, jouant ainsi le premier acte de la plus célèbre défaite d’Hitler. [retour au texte]

 

[2] La date de déclenchement de BAGRATION, le 22 juin 1944, a souvent été interprétée comme une date-symbole de l’anniversaire de l’opération BARBAROSSA, l’invasion de l’Union soviétique déclenchée le 22 juin 1941 par Hitler. En réalité, la date du 22 juin est uniquement dûe aux circonstances. En effet, fin novembre-début décembre 1943, à la Conférence interalliée de Téhéran, Staline, Roosevelt et Churchill ont défini les axes majeurs des opérations stratégiques du printemps et de l’été 1944. Dans ce plan d’envergure continentale, le démarrage des grandes opérations – soviétiques tout autant qu’alliées - était planifié pour le 1er mai 1944. En fin de compte, la préparation d’opérations de l’envergure de BAGRATION (l’offensive contre le groupe d’armées Centre allemand) ou d’OVERLORD (le débarquement en Normandie et la conquête de la Normandie et de la Bretagne) s’est avérée si monumentale qu’elle a reporté la première d’abord au 1er juin, puis de deux semaines supplémentaires, au 15, puis enfin d’une dernière semaine, au 22 juin.

BAGRATION elle-même n’est que l’un des éléments d’une colossale - et complexe - séquence d’opérations militaires, planifiée par la Stavka et l’état-major général soviétique sur deux mois, du 22 juin au 29 août 1944. Ce plan démesuré fera ultérieurement l’objet d’une fiche thématique dédiée. Dans cette archutecture, BAGRATION a pour objectif opérationnel de faire peser sur la ville occupée de Minsk, capitale de la Biélorussie, une menace si forte qu’elle perturbe tout le système défensif allemand dans l’intérêt d’une opération ultérieure qui, elle aussi, fait partie du plan : l’opération LVOV-SANDOMIR, planifiée pour le 13 juillet (voir à ce sujet le témoignage d’Ivan Stepanovitch Martynouchkine).  

[retour au texte]

 

[3] A une époque de la guerre où l’Union soviétique, saignée à blanc, compense le manque d’hommes par une débauche de matériels, la 4e armée de choc, que Vladimir dépeint comme chichement dotée, semble faire exception. Cela explique probablement ses performances poussives pendant la libération de Polotsk, surtout menée par la 6e armée de la Garde.

[retour au texte]

 

[4] Aujourd’hui Klaipeda (prononcer « Klaïpeda »). [retour au texte]

 

[5] Kretinga où l’occupation a été impitoyable : sur les mille habitants juifs que comptait la ville à l’éclatement de l’opération BARBAROSSA, tous ont été tués dans les deux premiers mois de l’occupation allemande ; soit par balles par le SS-Einsatzgruppe A (et par la Wehrmacht comme le précise un rapport de la Gestapo adressé au RSHA en date du 1er juillet 1941), soit à coups de bâtons, de barres de fer et d’armes blanches sur ordre des autorités locales. [retour au texte]

 

 

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Sources principales :

BERNARD, Nicolas : Stalingrad, la mort de la 6. Armee, Batailles & blindés hors-série, 2018

KOULIKOV, Viktor, CONY, Christophe et LEDET, Michel : Stalingrad, les combats aériens, Batailles aériennes, printemps 2002

LOPEZ, Jean : Stalingrad, la bataille au bord du gouffre, Economica, Paris, 2008

LOPEZ, Jean : Opération Bagration, la revanche de Staline, Economica, Paris, 2014

MIAGKOV, Mikhaïl Yourievitch (dirigé par) : Атлас победы, Великая Отечеcтвенная Война 1941-1945 гг. (« Atlas de la victoire, la Grande Guerre patriotique 1941-1945 »), Просвещение (Prosviéchtchiénié), Moscou, 2016